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1 janvier 2022 6 01 /01 /janvier /2022 16:41

 

Peut-être cet effroi que j'avais - qu'ont tant d'autres - de coucher dans une chambre inconnue, peut-être cet effroi n'est-il que la forme la plus humble, obscure, organique, presque inconsciente, de ce grand refus désespéré qu'opposent les choses qui constituent le meilleur de notre vie présente à ce que nous revêtions mentalement de notre acceptation la formule d'un avenir où elles ne figurent pas; refus qui était au fond de l'horreur que m'avait fait si souvent éprouver la pensée que mes parents mourraient un jour, que les nécessités de la vie pourraient m'obliger à vivre loin de Gilberte, ou simplement à me fixer définitivement dans un pays où je ne verrais plus jamais mes amis; refus qui était encore au fond de la difficulté que j'avais à penser à ma propre mort ou à une survie comme celle que Bergotte promettait aux hommes dans ses livres, dans Iaquelle je ne pourrais emporter mes souvenirs, mes défauts, mon caractère, qui ne se résignaient pas à l'idée de ne plus être et ne voulaient pour moi ni du néant, ni d'une éternité où ils ne seraient plus.

(...)

ma raison pensait que je pouvais envisager sans terreur la perspective d'une vie où je serais à jamais séparé d'êtres dont je perdrais le souvenir, et c'est comme une consolation qu'elle offrait à mon coeur une promesse d'oubli qui ne faisait au contraire qu'affoler son désespoir.

(...)

Et la crainte d'un avenir où nous seront enlevés la vue et l'entretien de ceux que nous aimons et d'où nous tirons aujourd'hui notre plus chère joie, cette crainte, loin de se dissiper, s'accroît, si à la douleur d'une telle privation nous pensons que s'ajoutera ce qui nous semble actuellement plus cruel encore : ne pas la ressentir comme une douleur, y rester indifférent; car alors notre moi serait changé : ce ne serait plus seulement le charme de nos parents, de notre maîtresse, de nos amis, qui ne serait plus autour de nous; notre affection pour eux aurait été si parfaitement arrachée de notre coeur dont elle est aujourd'hui une notable part, que nous pourrions nous plaire à cette vie séparée d'eux dont la pensée nous fait horreur aujourd'hui; ce serait donc une vraie mort de nous-même, mort suivie, il est vrai, de résurrection, mais en un moi différent et jusqu'à l'amour duquel ne peuvent s'élever les parties de l'ancien moi condamnées mourir. Ce sont elles-mêmes les plus chétives, comme les obscurs attachements aux dimensions, à l'atmosphère d'une chambre - qui s'effarent et refusent, en des rébellions où il faut voir un mode secret, partiel, tangible et vrai de la résistance à la mort, de la longue résistance désespérée et quotidienne à la mort fragmentaire et successive telle qu'elle s'insère dans toute la durée de notre vie, détachant de nous à chaque moment des lambeaux de nous-mêmes sur la mortification desquels des cellules nouvelles multiplieront.

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21 octobre 2021 4 21 /10 /octobre /2021 20:57

Le Poet Laval - Drôme
Le Poet Laval - Drôme
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Le Poet Laval - Drôme
Le Poet Laval - Drôme
Le Poet Laval - Drôme
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30 septembre 2021 4 30 /09 /septembre /2021 13:32

 

Il y a là, devant la case, un vieil homme qui ne sait rien de

«poésie », et dont la voix seule s'oppose. us cheveux gris sur la tête

noire, il porte dans la mêlée de terres, dans les deux histoires, pays

d'avant et pays-ci, le pur et rétif pouvoir d'une racine. Il dure, il

piète dans la friche qui ne procure. ( À lui les profonds, les possibles

de la voix ! ) J'ai vu ses yeux,j'ai vu ses yeux égarés chercher l'espace

du monde.

 

 

 

Du temps de l'esclavage dans les isles-à-sucre, il y eut

un vieux-nègre sans histoires ni gros-saut, ni manières à

spectacle. Il était amateur de silence, goûteur de solitude.

C'était un minéral de patiences immobiles. Un inépuisable

bambou. On le disait rugueux telle une terre du

Sud ou comme l'écorce d'un arbre qui a passé mille ans.

Pourtant, la Parole laisse entendre qu'il s'enflamma soudain

d'un bel boucan de vie.

Les histoires d'esclavage ne nous passionnent guère. Peu

de littérature se tient à ce propos. Pourtant, ici, terres

amères des sucres, nous nous sentons submergés par ce

noeud de mémoires qui nous âcre d'oublis et de présences

hurlantes. À chaque fois, quand elle veut se

construire, notre parole se tourne de ce côté-là, comme

dans l'axe d'une source dont le jaillissement encore irrésolu

manque à cette soif qui nous habite, irrémédiable.

Ainsi, m'est parvenue l'histoire de cet esclave vieil

homme. Une histoire à grands sillons d'histoires

variantes, en chants de langue créole, en jeux de langue .

française. Seules de proliférantes mémoires pourraient

en suivre les emmêlements. Ici, soucieux de ma parole, je

ne saurais aller qu'en un rythme léger flottant sur leurs

musiques.

P 17 – 18

 

Durant son peu de temps libre, et

à l'issue de ses vêpres du dimanche, le Béké mignonne un

molosse redoutable destiné à traquer les foubins qui

fuient les servitudes. Nul, jusqu'alors, n'a pu déjouer

l'effrayante traque de l'animal. Le Maître l'adore sans

doute à cause de cela. TI n'a d'embellie de sourire qu'à

l'intention de ce fauve. Et quand, sur sa véranda, il gratte

d'une mandoline nacrée, le molosse soupire comme une

amante orientale. Les esclaves de la région et ceux de son

domaine, d'aussi loin qu'ils puissent être, s'abandonnent

aux chairs de poule en percevant cette mélodie salope.

P 20

 

Le molosse exprimait la cruauté du Maître et de cette

plantation. Il était maladivement vivant. Quand le vieil

homme esclave longeait son grillage, il le suivait d'un oeil

de feu. De temps en temps, le vieux-bougre lui jetait un

regard, quelque chose de glissé, et de terne. Et leurs yeux

se croisaient sur sept nièmes de secondes. L'affrontement

dura ainsi des mois durant. Le molosse ramena des bois

six ou sept nègres marrons. Il égorgea une Congo qui

s'était prise d'une décharge. Le temps passant, il semblait

encore plus regrettable. Et si les décharges demeurèrent

régulières ( agressions sans manman, suicides ou démences

volcaniques de certains ), il fut de moins en moins

fréquent de voir quiconque s'enfuir en direction des bois.

Le molosse montait en face des âmes captives une garde

effroyable. C'est dire si l'on fut ébahi de voir que le vieil

homme l'avait quand même défié.

Mais comment donc cela avait été possible, pour lui. si

vieux et si près de la mort ? Je vais, sans craindre mensonges

et vérités, vous raconter tout ce que j'en sais. Mais

ce n'est pas grand-chose.

P 41 – 42

 

De cette mesure en démesure. Pourtant,

tout cela se situe dans une infime partie de moi. Ce

que j'appelle« moi »peut nicher aussi dans une partie

infime de ce que je perçois. Ou que je reçois. Je ne suis ni

passif ni actif. Ni en vouloir ni en coma. Un état pas ordinaire

 à l'autre bord de ce monde mais avec lequel je

peux vivre ce monde, cette jambe brisée, ce pauvre corps

ridé, ce monstre impitoyable raidi en face de moi. Sans

savoir pourquoi, je veux m'offrir un nom. M'attribuer un

nom comme à l'heure des baptêmes que le Maître

ordonnait. Je ne trouve rien. Il y a tant de noms en moi. Tant

de noms possibles. Mon nom, mon Grand-nom, devrait

pouvoir les crier tous. Les sonner tous. Les compter tous.

Les brûler tous. Leur rendre justice à tous. Mais cela

n'est pas possible. Rien ne m'est désormais possible.

Tout m'est au-delà du nécessaire et du possible. Au-delà

du légitime. Ni Territoire à moi, ni langue à moi, ni Histoire

à moi, ni Vérité à moi, mais à moi tout cela en

même temps, à l'extrême de chaque terme irréductible, à

l'extrême des mélodies de leurs concerts. Je suis un homme.

Je crois pleurer mais pleurer n'a pas de sens. Je crois

encore ressentir une souffrance, ou même un frisson de

peur quand le monstre se rapproche de moi. Mais tout

cela n'est que réflexe de chair. Souvenirs fous de muscles.

Sensible fixe de mes os. Mes os. Que diront-ils de moi ?

Comme ces peuples réfugiés dans une pierre, je vais

aboutir à quelques os perdus au fond de ces Grands-bois.

Je les vois déjà, ces os, architecture de mon esprit,

matière de mes naissances et de mes morts. Certains

feront poussières, d'autres roches. Certains se sculpteront jusqu'à

l'informe, d'autres rêveront du cristal et des

flûtes chantantes. Certains feront coquille sur le mystère

d'une perle, d'autres iront l'invariable des cercles

incommencés qui répugnent à finir, Mais cela n'a pas

d'importance: ma salive a le goût de l'aurore. Le

monstre, dit-on, se rapprocha. Mufle fétide. L'homme

ne fut même pas surpris quand l'énorme gueule atteignit

son visage.

P 123 – 124

 

Le chien réapparut. Le Maître n'eut même pas un sursaut

de plaisir. L'animal venait vers lui et le Maître ne

l'identifiait pas. Il avait lâché un tueur, lui revenait un

énorme animal, trop serein et trop calme. Le Maître

s'agenouilla et le serra contre lui. Il le serrait comme on

serre un cadavre pour lui ramener la vie. Mais le molosse

avait changé. Ses yeux étaient mobiles. Ses yeux étaient

brillants. Son muscle était tranquille, presque mol. Alors,

le Maître pleura sur son monstre perdu.

P 125

 

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30 août 2021 1 30 /08 /août /2021 20:22
Zell Am See - Autriche
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14 juillet 2021 3 14 /07 /juillet /2021 12:30

St Montan - Ardèche
St Montan - Ardèche
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St Montan - Ardèche
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30 juin 2021 3 30 /06 /juin /2021 08:19

 

 

En septembre 1902 Victor Segalen nommé médecin de 2iem classe s'embarque pour Tahiti

De 1903 à 1904, il va découvrir la Polynésie. Il se rend dans l'archipel des Touamotou, aux Marquises après la mort de Paul Gauguin le 8 mai 1903, puis dans l'île d'Hiva-Oa où avait vécu le peintre. De ce séjour sortira un livre publié en 1907 "Les immémoriaux" sous le pseudonyme de Max-Anély.

 

 

 

« Je t’ai dit avoir été heureux sous les tropiques, c’est violemment vrai. Pendant deux ans en Polynésie, j’ai mal dormi, de joie. J’ai eu des réveils à pleurer d’ivresse du jour qui montait. Les dieux du jouir, savent seuls, combien le réveil est annonciateur du jour et révélateur du bonheur continu que ne dose pas le jour. J’ai senti de l’allégresse couler dans mes muscles. J’ai pensé avec jouissance. J’ai découvert Nietzsche. Je tenais mon œuvre, j’étais libre, convalescent, frais et sensuellement assez bien entraîné. J’avais de petits départs, de petits déchirements, de grandes retrouvées fondantes. Toute l’île venait à moi, comme une femme."

Segalen et « Les Immémoriaux », entre exotisme et ethnologie
 

 

 

Pour Victor Segalen, Terii incarne les Polynésiens qui, à l'exemple d'un roi abruti d'alcool et de catéchisme, ont jeté leurs dieux dans les brasiers allumés par les missionnaires, en chantant la louange d'un crucifié dont le supplice n'avait aucun sens pour eux. Nous bâtirons la maison du Seigneur. Et jamais la mauvaise conscience ne viendra troubler les évangélistes : ils ont sauvé des âmes et ils ignoraient le sens du mot civilisation.


Tout ce qui était païen ne pouvait être que mauvais : il fallait sauver les Tahitiens du mal, c'est-à-dire d'eux-mêmes. Quand Paofai meurt sous les coups de ses frères, condamné par une loi qui n'est pas la sienne, c'est la dignité des Tahitiens qui meurt avec lui. Les Ario'i ne donneront plus le bonheur à manger à leur peuple, ils ne sèmeront plus la joie et l'ivresse: c'est maintenant le temps des communions chrétiennes.
Quand les bêtes changent leur voix, c'est qu'elles vont mourir. Quand les hommes changent de dieux, c'est qu'ils sont déjà morts.


Et Segalen se fait imprécateur : « Vous avez perdu les mots qui vous armaient et faisaient la force de vos races (... ) vous avez oublié tout (... ) les bêtes sans défense? Les autres les mangent! Les Immémoriaux que vous êtes, on les traque, on les disperse, on les détruit. »

 

Les mythes disent d'abord la lucidité des hommes, mais on s'en aperçoit souvent trop tard. Les Polynésiens ont toujours su que leurs dieux ne vivraient pas en paix avec le nouveau venu; ils ont vite compris que leurs valeurs étaient incompatibles avec celles que les missionnaires venaient greffer dans leurs îles. La solution
paraissait simple: oublier, se renier, tuer son dieu, le manger et surtout ne pas en laisser la moindre miette, parce qu'un homme qui se souvient de sa dignité perdue étouffe du sentiment de sa dégradation. Mais on n'en finit jamais de dévorer ses dieux, de ronger ses racines, de ruminer son authenticité. Les anciens marquisiens ont cru qu'ils pourraient recoller les débris du dieu avec de la sève de maiore; les Tahitiens d'aujourd'hui trouveront-ils la sève qui leur permettrait de calfater leur civilisation ? Segalen a écrit, répète-ton, un roman ethnographique. A mes yeux, il a fait beaucoup plus: il a permis à ses lecteurs européens de comprendre la dignité d'un peuple victime de la beauté de ses îles. Les paroles de Jeanne, de Marietta, de Nicole et de Colas vont peut-être jouer le même rôle pour les Polynésiens.


Victor Segalen, qui a connu la révélation de la joie en Polynésie, a écrit un livre désespéré parce qu'il voyait l'agonie d'une civilisation.

 

Tiré d'un article de Gérard Lahouati dans Europe n° 696 d'avril 1987

 

Victor Segalen, poète, médecin et voyageur au destin singulier

Les Immémoriaux de Victor Segalen

 

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30 juin 2021 3 30 /06 /juin /2021 07:37

 

En septembre 1949, à l'occasion d'un voyage au Mexique, où il participait à un congrès du Mouvement pour la Paix, Paul Eluard rencontre une journaliste, Odette-Suzanne Lemort (1914 - 12 juin 2000), jeune divorcée et âgée de trente-cinq ans. Elle devient sa troisième inspiratrice et il lui dédie un recueil "Le phénix".

 

 

 

 

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues
Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu
Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas
Je t’aime pour aimer
Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas

Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd’hui
Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille
Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie

Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne
Pour la santé
Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n’es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.

 

Le 12 août 1952, P Eluard en vacances avec Dominique à Saint-Tropez doit partir pour Paris, en raison des inquiétantes nouvelles concernant la santé de sa mère. Il écrit alors une lettre à Dominique partie pour Sarlat où il doit la rejoindre.

 

Des rêves m'ont déchirés (...)

Tu sais quand je suis à côté de toi, il n'y a pas de nuit possible.

 

 

 

 

 

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30 mai 2021 7 30 /05 /mai /2021 17:05

L'article avec les références des citations est disponible en pdf La lutte contre les discriminations passe par l'anti-racisme politique - Réponse à une tribune de Lydia Guirous

Les photos illustrant cette critique sont de Nancy Floyd, tirées de son fascinant projet qui « avait commencé comme une étude rigoureuse portant sur le corps humain ; il est devenu un témoignage imparfait de son existence. À 25 ans, tout juste diplômée, Nancy Floyd a l’idée de se photographier chaque jour au, afin de documenter ses changements physiques et son vieillissement.  » L’art ne permet-il pas cette mise en présence avec une humanité qui n’est pas la nôtre mais qui peut le devenir parce qu’elle nous émeut…             

 

 

Nous proposerons un contre-argumentaire à une tribune de Lydia Guirous qui nous semble recycler toutes les critiques formulées à l’encontre de la gauche, pour mieux la fracturer. Lydia Guirous est une féministe engagée à droite qui a créé « Le think tank « des femmes au service de l’homme » (exclusivement féminin) ambitionne  "d’apporter la vision des femmes sur les grands sujets politiques, économiques et sociaux  »

                                                                                                 

TRIBUNE. Lydia Guirous : "Le racialisme est un nouveau racisme, de gauche"

18h00 , le 3 avril 2021

Dans une tribune, l'essayiste Lydia Guirous critique l'approche d'une partie de la gauche qu'elle définit comme "identitaire". Pour elle, "ils croient lutter contre le racisme en ayant pour obsession la race et la couleur de l'autre".

Voici la tribune de Lydia Guirous, essayiste* et ancienne porte-parole des Républicains :

 "Il y a 60 ans, un groupe de jeunes américains, catholiques, juifs, protestants, peut être musulmans également, noirs et blancs, métisses, qu'importe finalement, avaient décidé de partir à bord du "bus de la liberté" sur les routes du sud des Etats-Unis pour dénoncer la ségrégation raciale persistante. Ils étaient jeunes, ils œuvraient pour un monde sans racisme, où l'homme était un homme avant tout... "Qu'il me soit permis de découvrir et de vouloir l'homme, où ils se trouve. Le Nègre n'est pas. Pas plus que le blanc" disait Frantz Fanon (Peau noire, masques blancs. 1952).

On peut s’étonner de cette référence à Fanon dans une tribune qui fustige ses héritiers. Certes il s’agit bien pour Fanon d’inscrire les luttes dans l’utopie régulatrice de réaliser une société délivrée du racisme et de la race, qui supprimerait l’aliénation dont sont victimes les noirs et les blancs « Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la tour substantialisée du passé », pour faire advenir une humanité qui leur est commune. Mais l’analyse qu’il fait de la société coloniale et de « l’être noir » s’appuie sur le concept de race qui est d’abord une relation dans laquelle les blancs saisissent les noirs « Je sens, je vois dans ces regards blancs que ce n’est pas un nouvel homme qui entre, mais un nouveau type d’homme, un nouveau genre. Un nègre, quoi. (…) Le monde blanc, seul honnête, me refusait toute participation. D’un homme on exigeait une conduite d’homme. De moi, une conduite d’homme noir — ou du moins une conduite de nègre. » En effet pour ceux qui ont lu « Les damnés de la terre » ou « Peau noire, masques blancs » il ne fait pas de doute que « Fanon tient pour nécessaire de se débarrasser de tout ressentiment lié à un passé révolu, mais pour mieux concentrer l’énergie de sa révolte sur les injustices du présent. Un tel programme intellectuel et politique rejoint largement celui de l’antiracisme politique actuel  »

Françoise Verges livre un commentaire de « Peau noire, masque blanc » qui rend compte de cette approche « Pour Fanon, l’émancipation se faisait par la conquête  de  la  liberté,  une  conquête  âpre  et  violente.  Si  la  liberté  était  donnée,  il  n’y  avait  pas  émancipation (…) Or,  le  maître  et  l’esclave  ont  existé  grâce  au  projet  colonial  français  et  l’empire  colonial  a  été  construit  par  des  républicains .  A  chaque  fois,  la  «  race  »  a  été  convoquée  pour  justifier,  classifier.  La  colonisation  reposait  sur  un  étrange  mélange  de  réalité  et  de  fiction,  réalité  :  travail  forcé,  inégalités  raciales  et  sociales  ;  fiction  :  la  France  bonne et généreuse, l’amour des colonisé. (…) Être  « Noir »  est une expérience vécue (titre d’un des chapitres de Peau noire, masques blancs) qui doit être analysée parce qu’elle révèle l’idéal disciplinaire, régulateur de l’ordre racialisé. La « race » n’est pas une  simple  aberration à combattre sur le plan rationnel, elle « habite » et organise la vie sociale. Le « Noir » est défini par des discours qui le précèdent et qui l’excèdent. « Aucune chance ne m’est permise. Je suis déterminé de l’extérieur » analyse Fanon. La subjectivité de l’homme « Noir » est conditionnée par la notion de « race». Cette dernière opère une  aliénation  de  soi  intime  et  radicale,  car  la  connaissance  intime  du  « Noir »  est encore nourrie de ce que « le Blanc » a produit, « mille détails, anecdotes, récits» (…) Comment alors imaginer un humanisme universel quand la « race » est devenue consubstantielle à la  subjectivité de l’homme  « Noir » ? Tout au long de Peau noire, masques blancs, Fanon revient sur cette détermination : comment s’en libérer ? « J’étais tout à la fois responsable de mon corps, responsable de ma race, de mes ancêtres ». Comment  atteindre  un  humanisme  universel ?  » (…)  Matthieu Renault dans un article déclare que « si Fanon ne cesse d’affirmer que le colonialisme, en tant qu’il est gouverné par le manichéisme, est négation de toute réciprocité, il n’en argue pas moins que la racialisation – qui l’accompagne comme son double – est quant à elle bel et bien mutuelle : le Blanc opère sur lui-même ce qu’il opère sur le Noir ; au moment même où il le racialise, il se racialise. L’argument de Fanon ne peut donc être reconduit à la formule : le racisme est blanc, la race est noire – le blanc se définissant négativement, comme la norme (non raciale). Pour Fanon, la race est (aussi) blanche. Il est vrai que l’objet premier de ses préoccupations est l’invention de la race noire et l’introjection de l’imagonègre par son « objet » : l’homme noir . »

Mauvaise pioche donc…

 

Aujourd'hui certains prétendent être les héritiers de ces courageux militants anti-racistes, pourtant ils en sont tellement loin... Ils sont même leur exact opposé. Ils prétendent lutter contre le racisme, mais en fait ils séparent, distinguent, trient les personnes en fonction de leur couleur de peau. Ils remettent la "race" au cœur du débat public, alors que nous la croyions reléguée dans les archives de l'histoire.

 

Ce sont effectivement ces phénomènes qui constituent ce que des chercheurs appellent « un racisme systémique » qui hante toujours les institutions de la République et qui se diffuse dans la société toute entière. Un temps premier ministre M Valls, avait évoqué « un apartheid territorial, social, ethnique » où

A cette « misère sociale (…) s'additionnent les discriminations quotidiennes parce que l'on n'a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau, ou bien parce que l'on est une femme  ».

Ainsi, ce n’est pas la gauche qui sépare, trie et remet la race au cœur du débat public, mais le fonctionnement de la société. Les enquêtes menées par E Fassin confirment ce phénomène « Depuis des années, je m’efforce d’étudier les politiques de racialisation. L’action publique produit en effet une racialisation qu’elle s’emploie par ailleurs à combattre. C’est manifeste dès lors qu’on se place dans la perspective, non pas des intentions proclamées, mais des résultats constatés.  » Nous prendrons trois exemples pour illustrer notre propos

Le premier a trait à la construction de la racialisation de la délinquance « Le couple “immigration/insécurité” a suscité un intérêt constant des médias à l’époque contemporaine, facilitant l’assimilation de l’étranger à un délinquant : les exemples sont nombreux pour le XIXe siècle ou pour  l’entre-deux-guerres.  Philippe  Videlier  a  montré  que  la  figure  emblématique du crime ou de l’insécurité depuis le siècle dernier est l’étranger. L’ouvrage déjà daté de Louis Chevallier, Classes laborieuses et classes dangereuses, révèle aussi le caractère intemporel du sentiment d’insécurité. Les classes dangereuses du XIXe siècle, les ouvriers, les pauvres et les exclus, ont pris au XXe siècle le visage de l’immigré partie prenante des nouvelles classes dangereuses. Cette relation qui confond la connotation sociale et la connotation raciale confirme l’idée de la permanence de la relation dominant/dominé à travers l’histoire puisque les deux catégories ouvriers et immigrés se réfèrent  au  même  système  symbolique  de  représentation.  En  1983,  le  journaliste Bernard Legendre parle dans Le Monde de cette  crainte diffuse qui, quand elle s’exprime, accuse le basané, l’étranger d’être fauteur de troubles : Leur présence au-dessus d’un certain seuil accroîtrait l’insécurité et interdirait le repos aux braves gens. » L’article « La délinquance immigré d’histoire d’un préjugé à la peau dure » paru dans « Migration et société » en 2007 analyse cette utilisation de l’assignation raciale pour construire une menace. On pourra suivre le devenir de cette entreprise en remarquant la nouvelle figure de cet ennemi intérieur qui aujourd’hui s’est déplacée sur l’Islam.

Le second est issu d’une analyse de la politique du logement social menée par les bailleurs sociaux, appréhendée à travers l’exemple de la ville de Marseille « Cet article vise à s’interroger sur le racisme dans la politique du logement social à partir de l’exemple marseillais. Dans la première partie, consacrée aux enjeux théoriques du concept de racisme institutionnel, nous montrons comment ce concept permet de dépasser les insuffisances des approches individualistes ou structuralistes du racisme en s’intéressant à la façon dont les acteurs au sein des institutions construisent et mobilisent de façon routinière des principes de classification ethniques et développent des pratiques dont l’effet (et non l’intention) est d’exclure ou d’inférioriser certains groupes ethniques (en particulier, en ce qui concerne la politique du logement social, des pratiques discriminatoires et ségrégatives). Dans la seconde partie, relative à la mise en évidence du racisme institutionnel dans les attributions de logements sociaux à Marseille, nous montrons comment les acteurs des attributions sont soumis à des contraintes et contradictions qui les conduisent à construire des définitions ethnicisées des « clients » et des « équilibres territoriaux ». Ces catégorisations sauvages aboutissent à la production de routines entretenant la discrimination et la ségrégation ethniques.  »

Le troisième fait référence au discours de Jacques Chirac prononcé le 19 juin 1991 et connu comme Le Discours d'Orléans. Il s'agissait d'un dîner-débat du RPR à Orléans, devant 1 300 militants et sympathisants. J Chirac était alors président du Rassemblement pour la République (le RPR) et maire de Paris, et ce discours portait sur un éventuel recadrage de la politique d'immigration française. Celui qui allait devenir président de la République se permet d’utiliser des catégories raciales pour séparer les personnes faisant pourtant partie de la même classe sociale « Notre problème, ce n'est pas les étrangers, c'est qu'il y a overdose. C'est peut-être vrai qu'il n'y a pas plus d'étrangers qu'avant la guerre, mais ce n'est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des musulmans et des Noirs […] Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d'or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur, eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C'est comme ça. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela. Nous n'avons plus les moyens d'honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui s'impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s'il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d'une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu'ils ne paient pas d'impôt !» Malheureusement cet appel à voir la race n’est pas isolé. En 2009, M Valls souhaitait décolorer un peu une foule qu’il estimait trop racisée « Dans une séquence diffusée le 8 juin sur Direct 8, Valls, dans les allées d'une brocante, soupire: «Belle image de la ville d'Evry...» Et demande à l'homme qui l'accompagne: «Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos. » Brice Hortefeux, lui aussi, a vu la race, dans une séquence fameuse et tout en finesse de racisme franchouillard "Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière." "Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype, répond Brice Hortefeux. C'est pas du tout ça." "C'est notre petit Arabe", souligne la participante. "Bon, tant mieux, dit M. Hortefeux. Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes. Allez, bon courage …"

Alors oui, obsession de la race et de la couleur de l’autre comme le dit Lydia Guirous, mais de bien mauvaises lunettes ne lui permettent pas d’identifier les responsables…

Certains d'entre eux avaient pourtant milité pour la suppression de la référence à la "race" dans notre Constitution. Voilà qu'aujourd'hui, ils croient lutter contre le racisme en ayant pour obsession la race et la couleur de l'autre.

 

« Doit-on admettre que ce qu’on ne nomme plus n’existe plus ?  » En prétextant de la désuétude du racisme biologique ou hiérarchique qui a constitué le paradigme dominant du siècle passé, on voudrait se priver d’étudier et de comprendre les formes contemporaines du racisme qui est avant tout une expérience sociale, celle d’être constitué comme un problème par le groupe majoritaire "Le problème, c'est que la plupart de ces jeunes sont des noirs ou des Arabes avec une identité musulmane.  » déclarait A Finkielkraut suite aux émeutes de 2005, ce que révélait déjà W.E.B. Du Bois « Entre moi et les autres, il y a cette question qui ne m’est jamais posée et qui pourtant est toujours dans l’air : qu’est-ce que cela fait d’être un problème ? Et c’est vrai qu’être un problème est une étrange expérience. » Une expérience qui a des conséquences symboliques et des effets concrets pour les individus stigmatisés, assignés à une identité subalterne, et qui génère de la souffrance tant psychologique que sociale. Supprimer le mot race de la constitution ou refuser d’utiliser des catégories raciales dans les statistiques, n’effacera pas des consciences l’expérience du racisme

Pierre-André Taguieff grand pourfendeur d’islamo gauchiste était contre cette suppression en donnant des arguments intéressants : « ces anti-racistes sans esprit critique (…) affirment comme une évidence qu'il faut bannir du vocabulaire, en commençant par le supprimer dans les textes officiels, ce mot jugé intrinsèquement souillé et corrupteur. Ils postulent donc que le simple emploi du mot «race» constitue à la fois un indice et un vecteur de racisme. L'antiracisme devient ainsi une police du langage, appelant à manier un rasoir d'Occam politisé pour supprimer les mots jugés suspects ou criminels, en commençant par le mot «race». C'est là en même temps criminaliser les interrogations et les discussions sur la question, et donc nourrir le terrorisme intellectuel (…) Dans l'imaginaire antiraciste, le mot «race» a depuis lors été perçu comme porteur du «virus» raciste, voire assimilé à un virus. Dans la vulgate antiraciste, en effet, le racisme est fantasmé et dénoncé comme une maladie contagieuse. C'est là rester sous l'emprise de la pensée magique, qui se représente les noms comme des véhicules de forces bénéfiques ou maléfiques. Et les antiracistes qui croient lutter contre le racisme en proposant d'interdire l'usage du mot supposé contagieux se comportent comme des magiciens. Il ne s'agit plus de soumettre à un examen critique une thèse ou une notion, mais de prohiber l'emploi d'un mot diabolisé. Alors qu'ils prétendent bruyamment «démonter» ou «déconstruire les stéréotypes et les préjugés», ces antiracistes illustrent par ce programme de prohibition lexicale la vision magique qu'ils ont du racisme et de leur lutte »

 

Ils font fausse route car on ne lutte jamais contre le racisme en se vautrant dans la vengeance raciale.

 

Il ne s’agit pas de crier à la vengeance mais de réclamer la justice, comme le résume si bien « le comité Adama » dans la formule « Pas de paix sans justice » rappelant des propos de Jean Paul II lors de la célébration de la journée mondiale de la paix en 2002  « Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon : je ne me lasserai pas de répéter cet avertissement à ceux qui, pour un motif ou un autre, nourrissent en eux la haine, des désirs de vengeance, des instincts destructeurs  ». Mais pour répondre à l’idée d’une possible volonté de vengeance raciale que porteraient les revendications des dominés, nous laisserons parler F Fanon dans « Peau noire et masques blancs » « N’ai-je donc pas sur cette terre autre chose à faire qu’à venger les Noirs du XVIIe siècle ? (…) Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race. (…)Je n’ai ni le droit ni le devoir d’exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués (…) Non, je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine au Blanc. Je n’ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au Blanc (…) Je me découvre un jour dans le monde et je me reconnais un seul droit : celui d’exiger de l’autre un comportement humain.  Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. (…) Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ?  Vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la Culpabilité dans les âmes ? »

F Fanon propose aux hommes de créer leur humanité en se libérant de ce qui les domine. Voilà ce qu’aurait pu nous dire L Guirous si elle l’avait lu…

 

 

Le "blanc" (Qui est blanc ? A partir de quand sommes-nous blanc ? Le suis-je ?)

 

Ceci est une bonne question. Dans sa pièces intitulée « Les nègres », Jean Genet se demandait « Qu’est-ce donc un noir ? Et d’abord, c’est de quelle couleur ? » preuve qu’il est bon de s’interroger sur des catégories tellement naturelles qu’elles nous paraissent aller de soi, alors qu’elles nous cachent les conditions sociales de leur élaboration.

En 2012 François Copé avait pointé un racisme anti-blanc  supposé se développer dans les quartiers, en reprenant implicitement une catégorie, « la blanchité » soudain devenue visible dans un universalisme pourtant pensé comme aveugle à la couleur de peau, et dans lequel tout à coup nous prenions conscience que les blancs existaient. En effet, le passage « de la question raciste, à la question raciale » est un véritable changement de paradigme « La dénonciation du racisme organisait le débat public-en France depuis la percée du Front-national dans-les années 1980, circonscrivant le problème en quelque sorte aux extrêmes. Avec les discriminations, l'innovation consiste à reconnaître que la « question raciale » excède les marges et concerne la société et ses-institutions dans leur ensemble.  » Les discriminations qui rendaient visibles l’altérité des autres allaient faire apparaître, comme un révélateur pour l’encre invisible, la nôtre. La « question blanche » devenait partie intégrante du problème, nous réintroduisant dans la puissance des logiques sociales qui semblaient produire un racisme sans race « Il ne s’agit pas de développer une approche morale visant à culpabiliser la « fragilité blanche » (selon le titre du livre de R Di Angelo), mais à interroger politiquement le rôle du groupe majoritaire dans la reproduction des inégalités sociales, mais aussi raciales et de genre.  »

Pris selon cette perspective, « le blanc, la blanchité » est d’abord un rapport social avant d’être une couleur de peau, même s’il se trouve que tiré de l’analyse de la société américaine, ce rapport social qui fait jouer à la race un rôle discriminant, se trouve réifié par les populations noires et blanches aux Etats-Unis. Dans le corpus des études critique « le qualificatif ne désigne pas une qualité de l’être, mais une propriété sociale. Non pas une identité sociale, mais une position dans la société, résultant d’un processus collectif.  » En dehors de la France, des mouvements d’émancipation ont critiqué la vision pigmentaire du racisme, les noirs devenant alors, tous ceux qui sont rejetés comme non-blancs , montrant que les bataille de classification théoriques ou pratiques des enquêtes, étaient aussi des luttes sociales « Dans un essai de 1751, B Franklin ne considérait comme blancs que les Anglais et les Saxons, en excluant les Espagnols, les Italiens, les fraçais, les Russes et… les Suédois considérés comme basanés . »

Ainsi, des études, dont l’une au titre très évocateur de Grainne O’Keeffe-Vigneron « Les plus noirs des Blancs : revendications identitaires des Irlandais en Angleterre à la fin du XXe siècle » montrent que des populations blanches ont dû construire leur « blanchité » lorsqu’elles se sont insérées dans une société où la matrice raciale devenait un mode de gestion de l’immigration « La Grande-Bretagne a été confrontée, après la Seconde Guerre mondiale, à des vagues successives d’immigration provenant du Commonwealth. (…)   La présence d’une population immigrée « de couleur » et les débats qui s’ensuivirent conduisirent à une redéfinition et à une reconstruction « raciales » de la citoyenneté britannique et de la notion de Britishness (« britannicité ») qui aboutit à exclure « les gens de couleur ». (…) A Eden premier ministre déclare « Quand les individus […] parlaient de maintenir la façon de vivre anglaise, ils ne se référaient pas simplement à des modèles économiques ou régionaux mais explicitement à la préservation du « caractère racial des Anglais ». Nous avons développé ici un processus […] fondé sur une construction raciale du sujet « britannique » qui exclut ou inclut les sujets d’après leur « race » ou leur « couleur de peau » (…) La population blanche, immigrée ou non, allait être construite, à partir de ce moment-là, comme une population homogène et les problèmes liés à l’immigration allaient être attribués aux personnes « de couleur » (…) Étant donné que les Irlandais étaient pour la plupart blancs, ils ne furent pas considérés, dans les discours officiels et populaires, comme une population différente de la population de souche et commencèrent donc à être construits comme un groupe « invisible » dans les lois et les discours autour de l’immigration. (…) de nombreux témoins disent avoir vu des pancartes, à côté des offres de travail et de logement, qui mentionnaient : « Pas de gens de couleur, pas d’Irlandais, pas de chiens ». Même si finalement les Irlandais furent exclus des contrôles de l’immigration, cela ne les dispensait pas d’être victimes de stéréotypes et de discriminations, bien qu’ils fissent partie de la population blanche. (…) Pendant les années 1980 et 1990 de nombreuses études sur le logement montrèrent que la population irlandaise était désavantagée par rapport à la population anglaise de souche ; (…) Les auteurs des études ont observé que les taux de mortalité pour les Irlandais en Grande-Bretagne étaient plus élevés qu’en Irlande et que la population masculine irlandaise était le seul groupe d’immigrés où la mortalité prématurée était plus élevée en Angleterre et au pays de Galles que dans son pays d’origine (…) De plus, les Irlandais ont souffert pendant des années du racisme et de la discrimination dans la société anglaise ; (…) Ce rapport reconnaît qu’une population blanche peut rencontrer du racisme, que cette population peut également posséder sa propre identité ethnique et que ce « label » n’appartient pas exclusivement aux personnes de couleur  »

On pourra aussi voir que le blanc est un rapport social de race qui vient s’insérer dans les rapports sociaux de classe avec « la tuerie d’Aigues-Mortes » de 1893 qui opposa des ouvriers français et italiens « Les années 1970 ont eu leurs ratonnades. À la fin du XIXe siècle, à peu près dans les mêmes régions—dans le midi de la France surtout— on s’adonnait au lynchage d’Italiens. Sans doute, avant 1900, le grand Sud-Est concentrait-il près des trois quarts des Transalpins de France, avec des proportions de 20% de la population dans les Alpes-Maritimes et de 12% dans les Bouches-du-Rhône. Dans le nord de l’Hexagone, on fait plutôt la chasse au Belge. Pourtant, jusqu’en 1900, les Italiens sont de loin la cible privilégiée de l’hostilité populaire. (…) c’est l’assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Santo Jeronimo Caserio qui entraîne le saccage des boutiques italiennes à Lyon et dans d’autres villes proches. À Paris, la situation est plus calme, mais voici le genre d’affiche qu’on trouve : «Cet assassinat a été commis par un Italien— et nous autres Français supportons sans rien dire la présence de ces êtres infects dans nos usines où ils occupent la place d’honnêtes ouvriers français qui meurent de privations et de misère. Depuis longtemps nous avons l’intention et le désir de nous débarrasser de cette vermine» (…) Les événements vont se charger de leur rappeler qu’ils ne sont pas justement des Français comme tout le monde  .»

Sans doute toutes les vagues migratoires européennes qui ont touché la France ont-elles été confrontées à cette difficile expérience de devoir devenir « blanc » pour être intégrées à la nation française, voir à ce propos « Les portugais et les marches de 1983 – 1984  », ou les études qui montrent « l’intense racialisation des rapports sociaux dans la France du XIXe siècle : les classes dangereuses urbaines, les populations paysannes mais aussi les ouvriers immigrés des pays européens ont tous été pensés sous l’angle de la différence raciale.  »

Le "blanc" est pour eux un bourreau conscient/inconscient  ou un bourreau en devenir. Le blanc est le "dominant" qui jouirait d'un fameux "white privilege".

 

Oui, il s’agit d’étudier les discriminations sous l’angle du concept de domination et de montrer comment les identités sont construites en références à des idéologies néo-coloniales qui retraduisent des différences constatées en infériorités essentialisées, actualisées dans les rapports sociaux inégalitaires qui viennent croiser ceux de classe et de genre. On retrouve le point de vue de « l’intersectionnalité » tant décrié par la droite. Quant au « privilège blanc » qui reste une hypothèse de recherche qui semble productive et pertinente , il provient de Peggy McIntosh . Rapidement résumé, il explique que les blancs trouvent un monde fait pour eux, où ils peuvent oublier les conditions sociales qui ont contribué à produire ce monde, un peu comme « un valide » qui ne voit pas les difficultés qui se présentent pour un « invalide » lorsqu’il circule dans un monde qui n’a pas été pensé pour lui. Dit autrement, le privilège blanc réside dans le fait que les blancs ne subissent pas de discriminations. Tania de Montaigne est en désaccord avec cette conception «  Pour elle, le problème de ce concept “c’est qu’on en déduit en fait que les blancs ont des droits parce qu’ils sont blancs et donc qu’il va falloir inventer des nouveaux droits pour les noirs parce qu’ils sont spéciaux…” poursuit-elle. Le texte de Virginie Despentes apparaît donc, à ses yeux, comme “une reproduction à l’identique du principe de hiérarchisation des races ». Elle préconise alors de porter davantage notre regard sur le fait qu’“il y a des gens (…) pour lesquels l’exercice des droits humains est soit tronqué, soit inexistant”, ce qui crée “une rupture d’égalité”, plutôt que sur le concept de “privilège blanc” qui marginalise les personnes discriminées  » Tania de Montaigne emprunte une ligne de crête où elle affirme avec raison, qu’il y a une rupture d’égalité puisque les inégalités sont issues de pratiques discriminantes. Ce sentiment est confirmé par l’enquête Santé Inégalité et Ruptures Sociales conduite entre 2005 et 2010 qui indique que la proportion d’individus qui considèrent que leurs propres droits ne sont pas respectés varie dans l’agglomération parisienne de 21% dans les quartiers de types supérieurs à près de 44% dans les quartiers de types populaires et ouvriers. Mais elle ramène la question du privilège blanc à un aspect juridique. Or cet aspect n’épuise pas la question, car ce ne sont pas simplement des inégalités devant la loi sur lesquelles se fondent les discriminations, l’égalité en droit des citoyens français est un des acquis de la République française, mais sur des pratiques quotidiennes. Cette remarque ne signifie pas qu’il faut abandonner les recours à la loi, ces luttes ont permis certaines avancées comme la condamnation de l’Etat français pour des contrôles d’identité discriminatoires , mais le rapport du Groupe d’Etude sur les Discriminations pointe des limites à ces recours  « Dans l’impossibilité de prouver la discrimination, tout se passe en effet comme si elle s n’étaient pas titulaires du droit fondamental à l’égalité de traitement et la violation de leurs droits n’est pas reconnue.  » Tout le monde a les mêmes droits mais à l’intérieur de ce qui est permis par la loi, il y a une marge utilisée par les acteurs pour des pratiques discriminantes parfois non-intensionnelles. E Macron s’est lui-même référé à l’expression et en a donné des exemples « Je constate que, dans notre société, être un homme blanc crée des conditions objectives plus faciles pour accéder à la fonction qui est la mienne, pour avoir un logement, pour trouver un emploi, qu'être un homme asiatique, noir ou maghrébin, ou une femme  asiatique, noire ou maghrébine.  » ramenant bien le problème à des pratiques sociales qui génèrent des conditions objectives plus favorables aux blancs, dans un cadre où l’égalité est pourtant garantie par le droit. Il est très difficile en droit de prouver l’intention raciste du contrôle au faciès, de la non location du logement, d’une orientation scolaire défavorable etc… Que faire à la déclinaison de votre identité, lorsqu’on vous répond que le logement est déjà loué ? Et lorsque l’ensemble de ces comportements agrégé représente un pourcentage significatif dans une statistique, on ne peut les expliquer simplement par un racisme inhérent aux individus, ceux-ci le deviennent parce qu’ils trouvent de bonnes raisons d’adopter ce comportement dans une société qui réagit à la race contrairement à ce qu’elle affirme. D’autres parts, toutes les discriminations ne peuvent être assimilées à une rupture d’égalité, en particulier lorsqu’elles relèvent de ce que Philomena Essed qualifie de racisme « du quotidien  » constitué par des microagressions logées dans les interactions familières « Comment agir face à ces formes de minoration qui se caractérisent par leur invisibilité et ne constitue pas nécessairement des infractions manifestes à la déontologie ?  ». Il existe toute une partie des discriminations difficilement visibles aux yeux même de ceux qui en sont victimes, car elles s’inscrivent dans une certaines banalité du mal, une sorte de routine coutumière qui pousse les acteurs à les accepter comme un fait social inéluctable « Cette banalisation des expériences de minoration découle de leur fréquence et de leur répétition pour nombre d’habitants de quartiers populaires.  »

Alors, privilège blanc ? L’expression est clivante, elle est sans-doute imparfaite mais elle ne doit pas faire obstacle aux convergences qui doivent se réaliser pour abolir les discriminations, car une fois celles-ci  disparues il n’y aura plus ni blancs, ni noirs, ni privilèges… C’était le message de F Fanon.

Les ouvriers "blancs" des usines aux trois-huit, ceux d'hier des mines, les paysans au RSA, apprécient chaque jour ces fameux "privilèges"...

 

Il est bien évident que la lutte des classes n’a pas disparu contrairement à ce que les amis de L Guirous aimeraient faire croire. Il y a bien des caractéristiques objectives qui unissent les classes populaires, dont la première est leur position dans le système économique néo-libéral. Mais à l’intérieure de cette classe des exploités, les études montrent qu’il existe des différences qui peuvent être analysées au prisme de la race ou du genre. « Plusieurs études ont mis en évidence un taux de chômage élevé au sein de la population immigrée et une faible participation des femmes immigrées au marché du travail (Insee,  2005).  Elles  montrent également que l’emploi des immigrés  se  concentre  dans  certains secteurs d’activité, comme la construction, mais aussi dans le  milieu  ouvrier,  notamment non  qualifié,  et les  emplois  de services. Parmi les personnes occupant un emploi, quatre immigrés sur dix sont en effet ouvriers en  2002,  contre  seulement  un quart des non-immigrés. Nous renvoyons au focus du rapport du CNCDH concernant l’emploi et nous citerons une étude de l’INSEE de F Mikol et C Tavan « La mobilité professionnelle des ouvriers et employés immigrés  » : « les immigrés ont des chances de promotion légèrement inférieures aux non-immigrés (…) En revanche, détenir un diplôme  supérieur  ou  égal  au baccalauréat  accroît  certes  les chances de promotion des immigrés, mais dans des proportions moindres que pour les non-immigrés (…) Ces écarts entre les taux de promotion reflètent en partie des structures différentes en termes d’emplois occupés. En effet, parmi les employés non qualifiés, un immigré sur trois occupe un poste d’employé de maison, de femme de ménage ou de gardien d’immeuble, contre seulement 7 % des non-immigrés (..) Les chances de promotion des femmes immigrées sont 23 % plus faibles que celles des non-immigrées. Les femmes immigrées occupent en effet plus souvent que les non-immigrées des professions à faible taux de promotion : employées de maison, concierges, nettoyeuses, couturières, etc.» L’étude indique au passage qu’à l’intérieur des discriminations de race s’exercent des discriminations de genre « Le fait d’être immigré est pénalisant pour les femmes quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle de départ. » Est pointée ici, une discrimination de genre agissant pour maintenir les femmes immigrés sur des emplois de bas niveau « En revanche, les femmes immigrées – que les institutions publiques comme l’insee définissent, depuis les années 1990, comme personnes étrangères ou Françaises par acquisition nées à l’étranger – témoignent pour la majorité d’entre elles de « l’adhérence » au bas de l’échelle, à tel point que l’on peut légitimement se demander si ces femmes n’ont pas pour propriété la place du bas, le terme de « propriété » étant considéré dans sa double acception, à savoir d’abord selon le sens commun en tant que « possession » d’un lieu, et selon le sens sociologique de « propriétés sociales », c’est-à-dire en tant que caractéristiques sociales propres, spécifiques . » On voit donc que la classe ouvrière n’est pas un tout homogène, un bloc non différencié où n’opèreraient pas, plus finement peut-être, d’autres rapports de domination que ceux de classe. « La gauche a fait savoir que ce nous national n’était pas homogène. Mais le nous ouvrier n’est lui-même pas homogène : il compte une série de strates. Et ça, une grande partie de la gauche et de l’extrême gauche s’est construite sans le voir. Dire que la classe ouvrière est homogène, c’est par exemple nier l’oppression des femmes en son sein. Les immigrés se situent dans le bas de cette classe ouvrière : ils occupent la place la plus précaire — il y a donc une spécificité à prendre en compte. L’unification de la classe ouvrière est un résultat, pas un point de départ.  »

 

Derrière le racialisme se cache une lutte des classes qui rendrait acceptable toutes les manifestations de ségrégation pourvues qu'elles s'exercent sur un "privilégié" donc un "blanc".

En cela le racialisme est un nouveau racisme venu de la "gauche identitaire", cette gauche qui rejette l'universel et vénère la race, la religion, le genre, l'origine

 

L’argument est classique, il s’agit d’un racisme à l’envers qui sépare ce que l’universalisme républicain unit, y compris pour se faire, en faisant appel à la notion de « diversité  » qui introduit pourtant, même de façon consensuelle, un écart à la norme unitaire sur laquelle s’appuie le modèle d’intégration français . Ce « mythe républicain » refuse de concevoir que les minorités en son sein, ne procèdent pas d’une essence raciale, culturelle ou religieuse, qui ne serait pas effacée par l’entreprise d’intégration à laquelle elles sont soumises, mais qu’elles sont fabriquées par un universalisme inachevé « Il ne s'agit plus d'une inégalité statutaire inscrite dans la loi comme avec le Code noir, le Code de l'indigénat ou les lois sur le séjour des étrangers, mais de traitements quotidiens, dans l'infra-institutionnel ou dans les pratiques sociales. La différence est sécrétée par la structure même de la société et sa sensibilité à la visibilité des écarts à la norme. Par son incapacité à prendre en charge une régulation pluraliste de la diversité, la République fabrique de l'ethnicité. » Cette ethnicisation de l’intervention politique peut s’observer dans la politique de la ville par exemple , qui amène à voir certains territoires comme des zones de non droit « En ce sens, l’ethnicité ne constitue pas exclusivement une manifestation minoritaire (expression particulariste d’un état de domination, retournement du stigmate ethnique…) mais représente également une production étatique légitime qui participe autant au décryptage des rapports sociaux qu’aux logiques matérielles ou symboliques d’action publique.  » V Geisser imputant même cette éthnicisation aux fondements républicains concevant la citoyenneté comme une forme de communautarisme majoritaire

 

Le racialisme déshumanise "l'homme blanc" et ouvre aussi la porte à l'intolérable, à la violence, à l'injustice et relativise la souffrance de l'autre car il ne serait pas de la bonne couleur. Il est un racisme qui s'exerce au nom des "dominés", ainsi il serait donc juste de demander aux "blancs" de "se taire", de poser un genou à terre, de s'effacer, et bientôt d'être "cancel" ?

 

Jusqu’à présent, les violences sont plutôt dirigées contre les personnes racisées et le racialisme a précisément consisté à animaliser l’autre en le déshumanisant, que l’on songe « aux zoos humains » où sont présentés tous les peuples composant l’Empire colonial français, entre 1810 et 1940, environs 35000 hommes, femmes et enfants ont été arrachés à leur terre lointaine pour être exhibés comme des animaux sauvages dans des zoos en Occident, ou aux cris de bêtes des supporters qui brandissent des bananes à l’encontre des joueurs racisés  « Le vocabulaire de stigmatisation de la sauvagerie — bestialité, goût du sang, fétichisme obscurantiste, bêtise atavique — est renforcé par une production iconographique d’une violence inouïe, accréditant l’idée d’une sous-humanité stagnante, humanité des confins coloniaux, à la frontière de l’humanité et de l’animalité  ». Le thème central de la tribune de L Guirous consiste à retourner les mots contre ceux qui en subissent les maux. Qui est racialisé, qui subit le racisme et sa violence, qui est dominé ? Il faut avoir une bonne dose de tartuferie pour prétendre que les blancs pourraient être victimes d’un racisme systémique dans une société où ils sont majoritaires. Mais sur le fond, il est révélateur de penser qu’une critique des dominations puisse déboucher sur la vengeance des dominés, et non pas sur l’émancipation, comme si la victoire des uns correspondait à la défaite des autres. On retrouve ici la même vision du féminisme intersectionnel, qui serait une attaque contre les hommes destinée à leur faire prendre la place des femmes en retournant la domination patriarcale contre eux. Cela révèle cette supercherie qui voit la société comme un consensus pacifié, seulement troublé par des éléments étrangers au corps social national (judéo bolchévisme, islamo gauchisme), introduisant une altérité agonistique, là où il n’y aurait qu’une identité heureuse, déclinée dans l’universalisme de ses valeurs, dont la critique relèverait forcément d’intentions mauvaises.

Heureusement que L Guirous, dans ces traitements qui seraient bientôt infligés aux blancs, n’a pas parlé de ces crimes impunis et autres ratonades sur lsquels R Brahim a consacré un travail de recherche « Durant sept ans, Rachida Brahim, docteure en sociologie, a examiné 731 crimes racistes — des attaques ou des meurtres commis de 1970 à 1997, en France continentale. Ce minutieux travail d’enquête est devenu un livre, La race tue deux fois » et dont nous tirons quelques exemples :

« Ainsi par exemple l’assassinat de Habib Grimzi :« c’est une des affaires les plus retentissantes des années 1980. Au moment des faits, Habib Grimzi, un Oranais de 26 ans, est en vacances depuis une quinzaine de jours en France. Le 15 novembre 1983, il prend le train Bordeaux-Vintimille en même temps que quatre candidats à la Légion étrangère. Dans leur compartiment, en compagnie du caporal-chef qui les escorte, ces derniers boivent “quatre ou cinq bouteilles de whisky”. Le gradé et un des aspirants légionnaires s’endorment. Les trois autres aperçoivent Habib Grimzi, lui reprochent un regard déplacé et le rouent de coups. Le contrôleur du train lui vient en aide. Celui-ci l’accompagne dans une autre voiture située en queue de train. Les trois hommes parviennent à le retrouver, le frappent à nouveau et lui donnent un coup de couteau sous l’omoplate. D’après la reconstitution des faits, alors qu’il était encore vivant, ses agresseurs ont ouvert la porte du wagon et l’ont jeté du train qui roulait à 140 km/h. Habib Grimzi aurait percuté le ballast et un pied de poteau de plein fouet. Il serait mort le crâne fracassé par le choc. (…)

À Marseille, en 1981, un homme tire depuis sa fenêtre sur Zahir Boudejellal alors âgé de 17 ans. Toufik Ouanès, âgé de 9 ans, meurt dans les mêmes conditions à la cité des 4 000 de La Courneuve en 1983. À Troyes, en septembre 1986, dans la cité du Point-du-Jour, un homme de 22 ans, propriétaire d’une carabine et habitant le huitième étage d’un immeuble tire depuis sa fenêtre sur un jeune homme de 23 ans. (…)

« À Fresnes, dans le Val-de-Marne, le 24 juin 1973, deux gendarmes accompagnés de policiers se rendent dans la cité des Groux pour interpeller un adolescent de 14 ans soupçonné de vol. (…) En voyant arriver les forces de l’ordre, leur fille de 8 ans, Malika Yezid, est montée en courant pour prévenir son frère. Ce dernier s’enfuit avant leur arrivée. Ils entrent malgré tout dans l’appartement. Le père raconte qu’ils ont été injuriés et menacés. Un des gendarmes gifle Malika devant lui. Malgré ses protestations, pendant que l’un d’entre eux l’interroge et le retient dans le séjour, Malika est emmenée et frappée dans une chambre : “Elle était en détresse, pleurait sans cesse, appelait. Après un quart d’heure, lui il sort, la petite vient derrière et tombe à plat ventre, elle ne bougeait plus [...] c’est eux qui l’ont tuée et ils sont partis en riant. ”Malika Yezid est transférée à l’hôpital, elle reste quatre jours dans le coma et décède.  ». (On pourra lire aussi « Permis de tuer  » rédiger par le collectif « Angles morts »)

Quant à la « cancel culture » que nous ne cautionnons pas, elle est invoquée comme fonctionnant dans un seul sens  au moment où justement les dominés remettent en cause leur domination. Pourtant elle est largement utilisée par les deux camps  comme en témoigne l’affaire très médiatisée de « Science Po Grenoble  », ou la mise à l’écart du Conseil National du Numérique de Rokaya Diallo , ainsi que l’éviction de la candidature de Nonna meyer à Sciences Po  . Que dire de la dissolution de l’Observatoire de la laïcité  voulue par Marlène Schippa, si ce n’est de faire disparaître un organisme qui a su intervenir sans parti pris pour rappeler comment devait s’appliquer la laïcité ? Ou de la décision de l’université de Lyon 2 « Après des semaines de polémique, l’université Lyon 2 a décidé d’annuler la tenue d’un colloque intitulé « Lutter contre l’islamophobie, un enjeu d’égalité ? », prévu le 14 octobre et organisé par sa chaire Egalité, inégalités et discriminations  » En 2018, le rappeur Médine annule son concert au Bataclan et le reporte au Zénith suite aux menaces « Le 21 septembre, le président de la Ligue du Midi, Richard Roudier, affirmait en effet qu'"une dizaine de bus" étaient "réservés” pour venir manifester devant le Bataclan le jour des concerts de Médine si ces derniers n'étaient pas annulés.  »

La culture de l’annulation s’inscrit dans une stratégie d’invisibilisation dont on trouve la trace dans le passé républicain, qui a tenté d’abord par l’oubli ou par des tentatives de réhabilitation (loi du 25 février 2005 ), d’effacer ce qui s’est passé, produisant une souffrance  pour ceux dont les ascendants se retrouvent victimes de ces ratures  du texte historique. Il y a bien eu volonté de canceliser un passé honteux en l’expurgeant de l’histoire officielle de la République « On peut en la matière rappeler la phrase inaugurale de Rostoland, gouverneur provisoire de la Martinique : « Je recommande à chacun l’oubli du passé…  » Cette amnésie reprochée à l’Etat français, répondait aussi au besoin politique d’assimiler d’anciens esclaves devenus citoyens dans une nation, dont l’idéal républicain ne pouvait se concevoir avec ce qui fut la traite négrière et l’esclavage. Un évènement plus emblématique qui s’est produit au sortir de la deuxième guerre mondiale, illustrera cette invisibilisation des racisés. En effet, l’homme de l’appel du 18 juin 40 devient en 1944, celui du blanchiment des 15 000 tirailleurs sénégalais des 9e DIC et 1re DMI, remplacés par des combattants FFI au sein de la 1re armée française . Pauvres tirailleurs sénégalais blanchis par De Gaule pour ne pas déplaire aux américains, mais aussi pour qu’ils n’aient pas accès aux villes et aux femmes blanches,  en tirant parti du prestige qu’ils avaient acquis en participant à la libération de la France… Imaginaire colonial lorsque tu nous tiens…  Mais, plus largement, c’est tout un pan de la politique concernant l’immigration en France un temps formulée sous le terme « d’assimilation » qu’il faudrait interroger à l’aulne de la « cancel culture » « Il y a une quinzaine d’années, le mot assimilation fleurait bon la IIIe République. Il était associé aux politiques menées dans les colonies – on parlait alors volontiers d’assimilation coloniale – ou aux débats de l’entre-deux-guerres sur l’accès à la nationalité – une circulaire de 1927 la définissait comme l’absorption plus complète et parfaite des éléments étrangers dans la nation. Après une longue éclipse, l’assimilation a effectué un retour en grâce inattendu dans les années 2000 : portée par les controverses sur l’islam, elle est désormais au cœur des débats sur l’identité nationale (…) La notion d’assimilation fait appel à une métaphore digestive, explique Patrick Simon. Le corps social et les institutions sont censés digérer les nouveaux venus et les transformer en Français. Le but est qu’ils ne soient plus repérables dans la structure sociale, que leurs spécificités culturelles, religieuses ou sociales disparaissent afin qu’ils deviennent semblables en tout point aux Français. Un parcours que le sociologue Abdelmalek Sayad résume en quelques mots : il s’agit, selon lui, de « passer de l’altérité la plus radicale à l’identité la plus totale  ». Ce que confirme G Noiriel avec la métaphore heuristique du creuset français « L’invisibilité des origines étrangères de la population consistait une dimension importante du creuset français.  » Peut-être a-t-on voulu canceliser avant l’heure ?

 

Prenons garde car le racisme des racialistes est une abomination comme tous les racismes.

Tyrannie des minorités, culpabilisation permanente, invitation à la repentance perpétuelle, menaces de déboulonnage de statues... Le racialisme est une instrumentalisation des populations dites "racisées", pour mettre fin à la République une et indivisible.

                                                                  

Lydia Guirous s’appuie sur une fiction réaffirmée comme un mantra, celle d’une République universaliste indifférente à la race. Pourtant il faut penser la contradiction apparente entre « la forme d’universalisme qui sous-tend l’idée républicaine  », inspirée des Lumières, proclamant l’abolition de l’esclavage, et une République colonisatrice qui fait de la race une matrice politique. E saada montre qu’il y a toujours eu localement une négociation des principes au vue des situations complexes de l’entreprise coloniale. Il existe une tension entre l’usage de « la race » qui est fait sur le terrain et son déni « Ainsi, dans un même texte de doctrine juridique sur la condition des indigènes, voit-on affirmé en même temps que « le droit français ignore le principe de l’opposition des races » et que le statut personnel, c’est « le droit propre à chaque personne à raison de la race dont elle fait partie (…) En marge du droit, mais aussi au sein même du droit se développent des pratiques de discriminations officielles fondées sur des différences raciales.  » En même temps que s’affirme le mythe républicain de « la mission civilisatrice » et du « courant humaniste de la colonisation  », on peut suivre la réalité des processus sociaux qui « bricolent » les grands idéaux républicains pour les rendre soluble dans la colonisation  « Le processus de racialisation a concerné l’ensemble des groupes en présence, y compris la population française qui, pendant la colonisation, s’est découverte comme européenne et blanche.  » Avec de nombreux exemples, G Noiriel prouve que « loin d’avoir été taboue, la question raciale a été omniprésente dans la réflexion des élites de la IIIe République, et pas seulement dans l’empire colonial  ». L’historien Pap Ndiaye écrit que « la notion moderne de race fut inventée pour justifier des rapports de dominations coloniale, en particulier l’esclavage  ». Historiquement, la République a développé toute une série de justifications fondée sur la race, pour séparer les français « né en France de parents français » et « les sujets né dans un pays nouvellement annexé » comme le dit un rapport de 1925 du Conseil supérieur des colonies « On peut dire qu’aucune des races qui habitent nos colonies ne nous est apparentée et par suite assimilable en masse ; toutes appartiennent à des collectivités présentant des caractères ethniques irréductibles aux nôtres  » J Ferry dira la même chose en instaurant « une différenciation entre « Blancs » et populations extra-européennes en principe de discrimination essentiel de l'application des principes républicains. Cette conjoncture est absolument fondamentale, puisqu'elle institue l'inégalitarisme racial au coeur du dispositif républicain colonial.  » Dès lors, les études décoloniales proposent de réévaluer les conséquences de la colonisation pour mesurer quelle part d’ombre elles projettent peut-être encore sur notre société « certes, l’idée de race est déroutante, effrayante, scandaleuse… Mais du commerce d’esclaves africains aux contraintes migratoires les plus récentes en passant par l’expansion de l’empire colonial, les catégories raciales ont été et restent une des formes majeures de différenciation sociale de l’époque moderne et contemporaine. Cette lucidité me semble plus féconde que la cécité qui prévaut encore  ». Ce retournement implique de considérer que l’entreprise républicaine peut être l’objet d’une réévaluation critique des processus politiques qui ont présidés à son émergence, comme l’a mise à l’écart des femmes de la citoyenneté « au nom de leur prétendue impuissance à prendre de la distance par rapport à leur nature  » elles n’obtiendront le droit de vote qu’en 1944, mais aussi des contenus philosophiques de ce modèle politique, qui pouvait proclamer l’égalité en même temps qu’il la démentait dans les faits.

La lutte contre le racisme est un combat pour la restauration de l'humanité et de la dignité de chacun. Un combat pour unir les hommes, contre l'arbitraire, l'injustice. Le racialisme lui, n'est en rien une lutte contre le racisme, il est l'instauration d'un nouveau racisme."

 

L Guirous termine par ce nouveau poncif que la droite essaie d’imposer, se développerait un nouveau racisme de gauche, un racisme à l’envers, qui proviendrait des personnes racisées et serait tourné contre les blancs. Dans un article de l’Obs, E Fassin https://www.nouvelobs.com/idees/20210409.OBS42515/les-coupables-ce-sont-les-victimes-par-eric-fassin.html analyse cette démarche qui vise une nouvelle fois à fracturer les luttes et potentiellement la Gauche, qui doit se retrouver autour d’un projet républicain, universaliste et laïque qui n’est pas celui de la Droite, car celui-ci est une imposture trompeuse, destinée à maintenir les dominés dans leur domination ainsi que le rappelle A Césaire dans son Discours sur le colonialisme « C'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme: d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste (…) Jamais l'Occident, dans le temps même où il se gargarise le plus du mot, n'a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d'un humanisme vrai, de pouvoir vivre l'humanisme vrai –l'humanisme à la mesure du monde.»

 

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30 avril 2021 5 30 /04 /avril /2021 20:04

 

 En incipit de son livre « Un autre Eden » Bernard Chambaz cite Joseph Delteil « Aux morts, pour qu’ils vivent. Aux vivants, pour qu’ils aiment. » Suggérant un lien puissant entre les plaisirs de la vie et le souvenir des morts. Dans un autre livre où il parle de son fils décédé dans un accident de voiture à 16 ans, Chambaz rapporte une citation de Marcus Ciceron disant que « la vie des morts est placé dans la mémoire des vivants  », puis un peu plus loin, il raconte comment Hécube la mère d’Hector, avale les cendres de son fils pour ne pas les voir dispersée par ses ennemis. Peut-être s’agit-il du même geste, conserver non pas vivants, mais capable de toujours nourrir les pensées des vivants, le souvenir des morts, car ne dit-on pas que tant qu’on prononce leur nom, les morts vivent toujours quelque part, encore assez puissants pour enfanter les songes…

 

 

 

« On dit que ce dont on ne se souvient pas, n’a pas existé. Imaginez un instant que vous ayez perdu la mémoire: tout ce qui maintenant participe de votre environnement: les personnes, la ville, la maison où vous vivez. vous-mêmes tel que vous êtes ... tout cela cessera d'exister pour vous.
Cette question de l'oubli et de la mémoire est un sujet inquiétant et fondamental en même temps pour pouvoir se comprendre entre êtres humains. C’est pour cette raison que les régimes dictatoriaux, au-delà de la répression et de la violence, se servent de l'oubli comme d'une arme offensive contre ceux qui continuent de croire en la liberté. Maintenir dans l'oubli, comme s'ils n'avaient pas existé, tous ceux que ces régimes considèrent comme leurs ennemis, c’est les condamner à mort sans avoir besoin d'un peloton d'exécution.
Le franquisme a condamné à l'oubli systématique tous ceux qui ont perdu la guerre, toutes les victimes des représailles, les condamnés et les milliers et milliers d'exilés qui durent fuir en France, en ces journées d'hiver 19391 quand il n’y avait plus rien à faire pour arrêter l'avance des troupes psutchistes. Ripoll, proche de la frontière, les a vus passer; ils étaient des milliers, une file interminable de vaincus, désespérés qui abandonnaient tout derrière eux. Ils laissaient la dictature. la vengeance des vainqueurs, le parfum des villages et des cités, les couleurs de leurs paysages. La présence des êtres aimés ... tout ce qui faisait dieux des personnes.
Plus de soixante ans se sont écoulés depuis ce mois de février 1939. La mémoire de ces faits a été lente, mais obstinément comme une plante disposée à vivre sur les murs les plus desséchés, elle renaît peu à peu et ces personnes surgissent de l'oubli auquel nous les avions condamnées. Nous les voyons dans des reportages, dans les journaux ou à la télévision. Ils ont des noms et des prénoms, parlent de leurs émotions; du pourquoi ils ont lutté pour la République, des souffrances endurées ... Ainsi triomphe de nouveau la mémoire sur l'oubli, la vie sur la mort. Tout ceci m'a été suggéré par le chemin qu'organisent chaque année, les fils de Dolores Prat, une ripollese exilée en 1939, pour se souvenir de celui effectué par leur mère entre Ripoll et Prats-de-Mollo… 
»

 

 

Avec « Exil » Progreso Marin raconte la guerre d’Espagne avec les témoignages  de ceux qui l’ont vécue dans le camp des Républicains, il se situe plus du côté de la mémoire que de l’histoire , mais selon la formule de Jacques Le Goff « la mémoire est le plus beau matériau de l’histoire. ». Ce lien entre histoire et mémoire s’est longtemps incarné dans la figure des survivants comme si avec la perte des derniers d’entre eux, nous prenions conscience d’un basculement dans le silence, d’un oubli possible, puisque plus aucune voix ne serait plus là pour parler de ce qui a été vécu, et ce silence qui préfigure l’oubli, dans lequel la mémoire est condamnée à tomber, n’est-il pas le signe d’un rapport apaisé au passé auquel doit tendre l’histoire. Mais pour parvenir à cet apaisement souhaité, il faut que la voix des vaincus puisse être entendue, il faut que le récit porté par les traces ne soit pas effacé par les vainqueurs « Aujourd'hui en Espagne ce combat pour la réapropriation de la mémoire historique s'avère plus vivace que jamais. Après quatre décennies de dictature, presque trente ans de silence durant la transition et la démocratie, au moment où l'oubli allait tout recouvrir, des jeunes Espagnols ont voulu savoir. Savoir qui étaient les grands-parents de la démocratie actuelle puisqu'il existait une République de 1931 à 1939, savoir où se trouvaient les corps d'innombrables défenseurs de la liberté, savoir ce que sont devenus les enfants arrachés aux mères républicaines emprisonnées...  ». Alors que la guerre d’Espagne s’est terminée depuis quatre-vingt ans, l’enjeu représenté par la découverte des fosses communes où ont été enterrés les cadavres des républicains abattus par les franquistes  est une réalité encore brûlante pour leurs descendants, les fantômes ne pouvant errer dans un passé où seul les morts, dont on a pu faire le deuil, ont leur place. Ce n’est qu’avec ce legs fait d’ombre et d’horreur, que le présent peut se nourrir d’un passé qu’il n’a plus à redouter, mais dont il peut trouver dans sa fertilité des raisons de vivre et de dépasser la posture victimaire qui « consiste à se construire, à ne plus se sentir que victime et à se positionner dans le ressentiment ". On peut considérer le livre de P Marin paru en 2005, comme une contribution à cette volonté de parvenir à une histoire sans ressentiment. C’est avec la connaissance de ce crime qui a voulu être caché que l’on pourra rendre justice aux victimes, sans pouvoir cependant réparer le mal qui a été fait, et peut-être aboutir au pardon, en permettant que quelque part et de manière ineffaçable le nom des victimes soi écrit à jamais comme le furent les noms de toutes les victimes de la Shoah dans la salle des noms de Yad Vashem  « A ceux-là, je donnerai dans ma maison et dans mes murs un monument et un nom ("Yad Vashem")... qui jamais ne sera effacé. » Isaïe, chapitre 56, verset 5. Car le travail de la mémoire est d’abord un exercice de restitution d’une humanité déniée et volée,  dans lequel il s’agit de colliger des listes de noms pour faire apparaître l’ampleur du crime, sa dimension inconcevable qui rend son oubli impossible, et dans leur terrible singularité qui en fait des phénomènes incomparables, nous apparaît commun le désir des vivants, comme a pu l’exprimer Scholastique Mukasonga de redonner un nom pour ceux qui ont perdu avec la vie ce qu’il apportait d’unique à l’humanité « Où sont-ils? Ils se sont perdus dans la foule anonyme des victimes du génocide. Un million de victimes qui ont perdu leur vie et leur nom. À quoi bon compter et recompter nos morts; des mille collines du Rwanda, un million d'ombres répondent à mon appel.  » En les tirants du néant d’où leurs bourreaux voulaient que jamais ils ne sortent, nous ne pouvons qu’entrer dans un processus de consolation qui permette à la vie de ne pas s’anéantir mais de se perpétuer  « Les morts s'en sont allés avec leurs secrets que les cadavres ne laissent que deviner. «Raconter, ce n'est pas leur redonner vie, puisqu'on ne peut surmonter leur mort. C'est seulement leur offrir de la dignité et de la gentillesse. C'est tendre la main à leur souvenir du mieux qu'on peut. Montrer comment ils ont été méritants, chaque fois que l'occasion se présente.  »

 

 

De façon presque symétrique, c’est en confiant les corps à la terre que les Franquistes ont voulu effacer leur crime et c’est aussi en cachant dans la terre et sous les cendre du camp de Birkenau leurs écrits que des membres du Sonderkommando ont voulu révéler au monde les crimes des Nazis « Entre 1945 et 1980, furent retrouvés, enfouis dans le sol de Birkenau, près des chambres à gaz-crématoire, cinq textes manuscrits, rédigés par des membres du Sonderkommando. - Haïm Herman (en français, février 1945). - Zalmen Gradowski (en yiddish, mars 1945). - Lejb Langfus (en yiddish, avril 1945) et un second texte en 1952. - En 1961 et 1962, deux textes de Zalmen Lewental (en Yiddish). - En octobre 1980, un texte rédigé en grec par Marcel Nadsari. Obligés par les SS de s'occuper de la crémation des cadavres des Juifs assassinés, ces hommes ont rédigé ces notes dans la plus grande clandestinité, espérant laisser au monde un témoignage du crime inouï qui se déroulait quotidiennement devant leurs yeux. Aucun des auteurs n'a survécu à la barbarie nazie.  »

 


La mise en récit fait partie de ce difficile travail de l’historien mais aussi de l’écrivain pour permettre de construire le futur en dehors de l’hypothèque de la vengeance et si nous ne souhaitons pas voir disparaître les cendres peut-être pourront nous les empêcher de couver d’autres feux… « J’aimerais conclure ma conférence sur une phrase empreinte de poésie que nous devons à Isak Dinesen et qu’Hannah Arendt a placée en tête de son chapitre consacré au concept d’action dans la Condition de l’homme moderne : All sorrows can be borne if you put them into a story or tell a story about it. Les chagrins, quels qu’ils soient, deviennent supportables si on les met en récit ou si l’on en tire une histoire.  »

 


Si l’oubli  est un devenir de l’histoire comme semble le penser Paul Ricoeur, celui-ci ne peut s’obtenir sans justice à l’image de la lutte des familles des victimes de violences policières qui réclament justice ou des propos de Jean Paul II lors de la célébration de la journée mondiale de la paix en 2002  « Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon : je ne me lasserai pas de répéter cet avertissement à ceux qui, pour un motif ou un autre, nourrissent en eux la haine, des désirs de vengeance, des instincts destructeurs  ». Cette relation établie entre la possibilité d’oublier lorsque la justice est rendue a été une des problématiques cruciales pour arriver à trouver un moyen de réconcilier les victimes et les bourreaux afin de parvenir à nouveau à vivre ensemble et de couper court au cycle infini de la vengeance dans des pays qui ont été ravagés par des tueries de masses ou des génocides à l’image de l’Algérie (1991 – 2002), du Rwanda (7 avril, 17 juillet 1994), de la Bosnie (1992 – 1995) et dans une moindre mesure de l’Afrique du sud. En effet, il semble que « Les peuples comme les hommes ne peuvent pas vivre sans être un tant soit peu en paix avec leur mémoire. (...) Amnésie et oubli sont des maladies du présent et de l'avenir ». Le devoir de mémoire pourtant si souvent invoqué pourrait trouver des limites dans l’utilisation qui est faite de l’histoire. A quoi sert cette remémoration, « cette exhortation à ne pas oublier » ? Quelles fins politiques sert-elle ? Les controverses actuelles autour du nom des rues ou des statuts de personnages historiques qui ont contribué à l’esclavage ou à la colonisation sont le signe d’une histoire qui n’aurait pas tout avoué, et si l’on admet en suivant Pierre Nora que l'histoire est une reconstruction problématique et incomplète de ce qui n'est plus, que l’histoire officielle pose problème pour une partie de ceux qui constituent la nation dont celle-ci se veut la narration. Non seulement l’occultation d’une période de l’histoire, quand ce ne sont pas des tentatives de réhabilitation , conduiraient à effacer ce qui s’est passé mais aussi à produire une souffrance  pour ceux dont les ascendants se retrouvent victimes de ces ratures  du texte historique. On retrouve ici la notion chère à E. Renan dans sa conférence 11 mars 1882  qui relie l’identité à l’histoire de la nation « La nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis.  » Pour que cette possession soit commune il faut qu’elle soit écrite à plusieurs voix dont celles qui ont été rendues muettes dans cette tentative d’oubli du passé « On peut en la matière rappeler la phrase inaugurale de Rostoland, gouverneur provisoire de la Martinique : « Je recommande à chacun l’oubli du passé…  » Cette amnésie reproché à l’Etat français, répondait aussi au besoin politique d’assimiler d’anciens esclaves devenus citoyens dans une nation dont l’idéal républicain ne pouvait se concevoir avec ce qui fut la traite négrière et l’esclavage. Si « l'oubli est à l'oeuvre dans la dynamique même de la transmission  » il faut admettre qu’afin de pouvoir oublier le passé celui-ci ne doit pas avoir été dissimulé dans une tentative qui ressemble à une falsification et que la transmission qui n’emprunte pas seulement la voix des historiens se trouve au cœur des luttes mémorielles et des récits portés par les écrivains « Le passé, notre passé subi, qui n’est pas encore histoire pour nous, est pourtant là (ici) qui nous lancine. La tâche de l’écrivain est d’explorer ce lancinement, de le “révéler” de manière continue dans le présent et l’actuel… C’est ce que j’appelle une vision prophétique du passé… Parce que le temps antillais fut stabilisé dans le néant d’une non-histoire imposée, l’écrivain doit contribuer à rétablir sa chronologie tourmentée… En ce qui nous concerne, l’histoire en tant que conscience à l’oeuvre et l’histoire en tant que vécu ne sont donc pas l’affaire des seuls historiens.  » Ces querelles mémorielles surgissent en concomitance avec un questionnement sur l’identité nationale  qui voudrait réveiller des morts dont la poussière de leurs os s’est mélangée au sol , pour servir d’alibi à cette grande machinerie du « récit national  », autre nom de cet uniforme censé effacer toutes les différences pour les transcender dans un universalisme assimilateur…

 

Pour lire ce texte avec les notes de bas de pages et les références :

 

 

 

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17 mars 2021 3 17 /03 /mars /2021 09:52

 

Voulue comme réponse au mouvement #14septembre1  lancé par des lycéennes et collégiennes qui revendiquaient le droit de porter ce qu’elles voulaient sans être réduites à des objets sexuels, ce rappel du Ministre de l’Education Nationale2 à une norme vestimentaire « allant de soi » mais non explicitée, dont on peut cependant supposer qu’elle est définie par des hommes blancs appartenant aux classes sociales privilégiées, visait particulièrement les filles et collatéralement, peut-être, les porteurs de cagoules ont-ils pu sentir aussi le vent du boulet… Loin d’apparaître comme un phénomène anecdotique, le mouvement du 14 septembre s’inscrit dans la lutte du contrôle des corps féminins dont la visibilité s’est accrue depuis quelques années, et qui a connu une diffusion médiatique importante avec le hashtag  #metoo crée par la militante féministe américaine Tarana Burke3  ou avec sa version francophone #balancetonporc.

 

 

Cruelle prise de conscience pour notre République émancipatrice, le corps des femmes et sa vêture seraient l’objet d’injonctions politiques que seul l’œil égaré d’un patriarcat menacé de cécité ne peut voir que dans les sociétés musulmanes, mais que les femmes ressentent souvent au quotidien dans l’espace publique ou privé, dans ce que l’on pourrait appeler, comme J.C. Kaufmann une tentative de « redomestication » des femmes, couplée avec celle de conjuration de la peur « Une image sombre et tenace hante ce livre4  : elle évoque la peur séculaire suscitée par le corps des femmes. Certes, la peur a été accompagnée de fascination et de convoitise. Mais la peur a été réelle et fertile en violences. Car le corps féminin est apparu longtemps comme une source de débauche, de dépravation – donc de désordre social. En particulier, la sexualité féminine a été perçue comme mystérieuse et puissante, habitée par le diable.5  »

L’intervention du ministre s’inscrit donc dans la définition d’une norme sensée baliser ce qui est licite ou non en termes de tenue vestimentaire. Elle rappelle la pensée profonde de cet officier de police canadien, Michael Sanguinetti ayant déclaré qu’une femme « ne devrait pas s’habiller comme une salope si elle ne voulait pas être victime d’abus »  à l’origine d’une série de Slutwalk dans plusieurs pays, et signale que l’habillement pour les femmes est tout sauf innocent puisqu’il peut les mettre en danger…

 

https://toomics.com/fr/webtoon/detail/code/100816/ep/1/toon/5062

 

Or en ce domaine tout est question d’équilibre, ni trop long7  ni trop court8  mais suivant la longueur ce n’est pas le même public qui se retrouve dans le viseur. Depuis 1989 et les premières affaires du foulard, puis la loi de 2004 sur le port de signes religieux ostentatoires, la visibilité de l’Islam dans l’espace public, surtout lorsqu’elle passe par les femmes est l’objet de polémiques régulières9  et d’encouragement à durcir les lois définissant la laïcité, afin de s’en servir pour endiguer ce qui est vue comme un séparatisme communautaire ou une attaque contre le vivre ensemble républicain. D’un autre côté, ce rappel à l’ordre sonne bien étrangement dans la société française. Se voyant en fidèle héritière des lumières, une idéologie teintée de républicanisme considère qu’elle a réglé les problèmes d’inégalité en légiférant10  et pense que ces jeunes femmes vont trop loin, un peu comme les féministes d’aujourd’hui qui refuseraient de croire « au mythe d’une égalité déjà-là » (Christine Delphy). En effet, un courant encore minoritaire commence à laisser entendre qu’une partie des féministes a dévoyé leur cause, et que d’un combat pour l’égalité on est passé à un combat pour une société où les hommes seraient frustrés et dominés par les femmes. Dans cette perspective c’est la masculinité qui est remise en cause, dès lors qu’il s’agit de tous partager y compris les tâches ménagères, dans cette seconde journée de travail dont les femmes ne sont jamais créditées. On mesure à quel point cette troisième vague du féminisme11  peut être particulièrement déstabilisante dans son dernier bastion, la sexualité masculine qui fonctionnait selon les modalités que certains.es auteurs.trices ont voulu décrire dans « une séduction à la française » où « la galanterie française comme modèle civilisationnel de la pacification et de l’apaisement des mœurs compense l’inégalité des sexes par « la politesse, par le respect et par la générosité » (Raynaud, 1989, p. 180)12 . Dans ce nouveau cadre post-égalitaire, ce sont ces relations de séduction qui sont remises en cause par les féministes. Elles contestent la transaction implicite qui veut qu’en contrepartie de leur inégalité les femmes obtenaient que les hommes inscrivent leur sexualité dans des rapports conventionnels qui limitaient leurs excès avec des pratiques codifiées que les auteurs.trices appellent « la galanterie à la française ». Les féministes de la troisième vague refusent d’échanger leur tranquilité sexuelle par la soumission de leur apparence au désir masculin. En libérant leur corps des contraintes physiologiques qui pesaient sur elles au moyen de la contraception, tout en exprimant la possibilité d’un choix dans leur sexualité et en assumant de visibiliser cette liberté dans l’espace public en portant les vêtements qu’elles souhaitent, sans avoir à redouter les pulsions des hommes, ces jeunes femmes reçoivent de plein fouet un choc en retour, en découvrant que l’égalité est  encore à venir. Le message qui leur est adressé correspond à celui-ci « Ne tentez pas les hommes par des comportements ou une façon de vous vêtir qui vous exposeraient à être traitée comme vous le méritez » qui rappelle douloureusement que la culture du viol imprègne toujours notre société, prompte à faire reposer la faute du viol sur le comportement des femmes13 .

 

 

Aussi anodins qu’ils puissent paraître, les propos du Ministre font surgir à la lumière, l’impensé volontaire de notre société patriarcale qui a doublé le Contrat social originel sur lequel est fondé l’ordre politique, avec sa contrepartie restée dans l’ombre et que Carole Paterman appelle le Contrat sexuel14 . Celle-ci propose de déconstruire le mythe du Contrat social réglant symboliquement les relations que nouent les êtres humains pour vivre ensemble, assurant juridiquement l’égalité formelle, mais pas pour autant réelle entre les hommes et les femmes, pour découvrir l’existence d’une sorte de contrat sexuel refoulé15 . Selon la fiction héritée des Lumières (Hobbes, Locke et Rousseau), le contrat social fonde l’origine du politique et vise à le légitimer dans l’accord conclu par des personnes libres et autonomes pour se doter d’un gouvernement censé dépasser un état de nature fictionnelle, dans lequel auraient vécus les hommes. Dans ce récit, le contrat sexuel est implicite, sous-jacent, et renvoie au fait que le corps des femmes reste à la disposition des hommes. Dans le croisement entre égalité et liberté, le problème du corps est à la fois impensé et central. C’est là que s’exerce le mieux la domination masculine.

 

 

Les femmes musulmanes et l’Islam

Il semblerait que ce rappel à la norme s’effectue selon deux directions :

L’une très classique depuis quelques années s’exerce en direction des femmes musulmanes et du voile. Elle se donne pour but de libérer ces femmes voilées, poursuivant en cela l’œuvre entreprise pendant la colonisation de l’Algérie avec des cérémonies de dévoilement « Les Algériennes furent ainsi incitées, pour ne pas dire obligées, de se dévoiler au nom de l'émancipation des femmes par des associations féminines qui se voulaient charitables. Le 13 mai 1958, des musulmanes sont installées sur un podium à Alger, place du Gouvernement. Dans une mise en scène  très orchestrée, elles brulent leur voile. (En 1960, le photographe Marc Garanger, alors jeune appelé, fut bouleversé par le travail qu'on lui imposa : faire des photos d'identité de Kabyles, voile arraché.)16  »

 

 

On peut suivre ce qui va devenir une obsession française en relevant toutes les « affaires » qui ont ponctué l’actualité depuis 1989 jusqu’à la polémique sur le burkini de l’été 201617 . Cette diabolisation du voile fait bien peu de cas du sens donner à cet acte par celles qui le portent18 , qui lorsqu’elles sont écoutées par les sociologues font plutôt état « d’une contrainte libératoire19  » prouvant qu’elles sont capables de rationaliser leurs choix, et nous invitant à refuser les raccourcis idéologiques qui construisent l’Islam comme une nouvelles barbarie, dont les femmes seraient les premières victimes. Ces jugements portés sous couvert d’universalisme, s’appuyant bien souvent sur des situations réelles où les femmes sont victimes d’une utilisation régressive de l’Islam comme en Arabie Saoudite, en Afghanistan ou en Iran, sont transposés sans mise en perspective dans notre société, comme si le voile représentait la même chose en France et dans ces pays. Ils se dédoublent aussi du refus de permettre la visibilité des femmes voilées dans l’espace public20 , droit que leur reconnaît pourtant la laïcité21 , et du dénie le leur droit à être écoutées. C’est bien ce refus du droit à la parole qu’a montré l’audition de la vice-présidente de l’UNEF par une commission de l’Assemblée Nationale,  lorsqu’une partie de ses membres a quitté la salle22 .Comme le rappelle Agès de Féo23  « On ne parle pas avec eux, car ceux-ci auraient abandonné leur statut de sujet autonome ». En effet dans la vulgate islamophobe, toute femme voilée a perdu son libre arbitre et ne peut qu’être qu’influencée ou contrainte, le voile étant forcément la marque d’un Islam politique  qui prône le séparatisme pour détruire le vive ensemble et la laïcité. Ce qui est à l’œuvre derrière cette mise en scène, c’est la tentative d’exclure les femmes voilées de la possibilité de s’exprimer à l’intérieur des institutions syndicats, associations, partis politiques, etc… Contrairement à cette idée que l’on assène, ce ne sont pas ces femmes qui « se séparent » de la société, mais bien ceux qui ont choisi de mener un combat contre l’Islam qui essaient de les exclure des droits que la République confère à tous citoyens. Pour autant, rappeler qu’il est nécessaire de considérer le port du voile et la pratique de l’Islam dans la pluralité des interprétations que leur donnent les sujets concernés, ce n’est pas nier qu’il existe un Islam politique24 qui tente depuis plusieurs années une réislamisation par le bas. Mais là encore, il convient d’étudier ce phénomène dans toutes ses dimensions qui lorsqu’elles contreviennent à la loi française font l’objet d’une répression25 , plutôt que de s’en servir pour alimenter des peurs. Ce n’est pas nier non plus qu’un terrorisme se prévalant de l’Islam commet des attentats sur notre territoire et qu’il est nécessaire d’en protéger l’ensemble des citoyens pour garantir une liberté d’expression qui s’incarne dans la tragédie des attentats de Charlie hebdo. La compréhension n’équivaut pas à excuser contrairement à la logorrhée anti-sociologique de N. Sarkozy26  ou de M. Valls27 , elle permet seulement d’exercer de façon un peu plus éclairé par l’usage de la raison plutôt que par la passion, le libre arbitre propre à chacun en tant que citoyen politique d’un pays libre, et peut-être est-elle aussi, comme le suggère A. Fuchs la meilleurs façon de lutter contre le terrorisme « « Les enseignements des sciences sociales sont la meilleure façon de lutter efficacement contre toutes les formes de terrorisme. Leurs analyses et explications proposées par les chercheurs qui se consacrent à ce domaine sont essentielles à cet égard. Connaître les causes d’une menace est la première condition pour s’en protéger.28  »

 

 

Les féministes et la politisation des corps

L’autre direction dans laquelle s’exerce ce retour aux normes est plus diffuse, mais remonte bien plus loin dans l’histoire de notre société. Ce n’est pas d’aujourd’hui que des forces de rappel s’exercent sur le corps des femmes et la façon de se vêtir comme en témoigne la loi du 17 novembre 1800 interdisant aux femmes de porter le pantalon, loi implicitement abrogée seulement en 2013. Mais de façon beaucoup plus insidieuses, ces forces trouvent un prolongement dans le comportement même de certains hommes qui actualisent dans leurs actes une idéologie patriarcale fonctionnant comme un ensemble de références largement partagées et là encore contrairement à une idée préconçue, ce n’est pas seulement dans « les quartiers » que ces comportements s’expriment, mais dans tous les milieux de la société, y compris à l’Assemblée Nationale où Cécile Duflot  « appelée à prendre la parole le 17 juillet 2012 à l'Assemblée nationale, lors d'une séance de "Questions au gouvernement", celle qui était alors ministre de l'Égalité des territoires avait été accueillie par des quolibets émanant des rangs des députés UMP.

 

 

L'épisode avait mis au jour, comme c’est le cas régulièrement, la persistance des attitudes machistes au sein de l'Assemblée nationale29  » parfaite illustration de ce qu’Isabelle Adjani appelait les trois G « En France il y a les trois G : Galanterie, Grivoiserie, Goujaterie30  ». Plus largement, d’après une enquête de l’INED plus de 3 millions de femmes sont concernées chaque année par le harcèlement de rue31  obligeant les femmes à adapter leurs comportements et leurs tenues « Les femmes qui prennent les transports, principalement en soirée, font aussi en sorte d'adapter leur tenue vestimentaire à leurs déplacements. Le but ? Éviter à tout prix d'attirer les regards, en particulier celui des hommes. Elles bannissent donc tout signe extérieur de féminité en troquant talons, jupe courte et décollé contre un pantalon, des talons plats et un sac en bandoulière. Ces restrictions que les femmes apportent d'elles-mêmes à leur tenue montrent clairement la persistance de certains stéréotypes sexuels. L'idée de prendre le train ou le métro dans une tenue courte ou féminine "renvoie dans leur esprit à une idée reçue : la disponibilité sexuelle de la femme", souligne l'étude.32  » Paradoxalement, ce courant qui édicte des normes vestimentaires des sortes de « dress code » dont les femmes auraient à tenir compte pour ne pas réveiller le prédateur caché en tout homme selon E Zemmour33 , dès lors qu’elles sortent de leur domaine réservé et exclusif, l’intérieur de leur foyer pourtant considéré, selon une étude de l’ONU34 , comme l’endroit le plus dangereux pour elles, prend à revers l’idéologie post-soixante-huitarde qui veut que la nudité représente l’idéal de libération des femmes. « Le rapport à la nudité est un autre indice de ces nouveaux usages transgressifs qui iront en s'accentuant et annoncent une mutation des comportements intimes et des représentations de la sexualité (…) les premiers seins nus et monokinis affirment un autre rapport au corps et à son exhibition. Cet usage public de soi n’est rebelle que parce qu'il choque un puritanisme ambiant et qu'il offre un potentiel libérateur.

 

 

Il n'est cependant pas sans lien avec une nouvelle esthétique contraignante de la féminité et un surinvestissement du corps féminin érotisé comme vecteur commercial privilégié.35  » De même il semble aller contre l’hypersexualisation36  de notre société, un phénomène émergeant qui érotise l’image corporelle des filles de plus en plus jeunes et qui se manifeste selon S. Richard-Bessette par : «Une tenue vestimentaire qui met en évidence des parties du corps (décolleté, pantalon taille basse, pull moulant, etc.). - Des accessoires et des produits qui accentuent de façon importante certains traits et cachent « les défauts » (maquillage, bijoux, talons hauts, ongles en acrylique, coloration des cheveux, soutien-gorge à bonnets rembourrés, etc.). - Des transformations du corps qui ont pour but la mise en évidence de caractéristiques ou signaux sexuels (épilation des poils du corps et des organes génitaux, musculation importante des bras et des fesses, etc.). - Des interventions chirurgicales qui transforment le corps en « objet artificiel »: seins en silicone, lèvres gonflées au collagène. - Des postures exagérées du corps qui envoient le signal d’une disponibilité sexuelle: bomber les seins, ouvrir la bouche, se déhancher, etc. - Des comportements sexuels axés sur la génitalité et le plaisir de l’autre.37  »

 

 

Une hypersexualisation envahissant tous les domaines et qui produit non seulement des normes comportementales, mais aussi des schèmes de pensées et d’action dans lequel les sujets viennent puiser pour entretenir des relations sociales avec les autres, leur transférant une partie de la violence symbolique contenue jusqu’alors dans l’imaginaire « par la transmission de stéréotypes du genre femme-objet et homme-dominateur; » générant «  une violence sociale engendrée par la banalisation et la pornographisation de l’univers médiatique; une violence économique par la glorification de l’acte de consommer et la pression sur les plus jeunes; une violence politique entretenue par l’inhabilité de l’État à protéger les enfants et les jeunes du capitalisme débridé38  »

Avec cette objectivation sexuelle, le corps mis en scène comme un objet sexuel disponible pour les hommes est perçu comme un signal transformant « les femmes en morceaux de viande destinée à la consommation masculine.39  » On peut donc interpréter les propos du ministre comme une mise en garde contre le phénomène d’hypersexualisation mais on s’étonnera alors, qu’il ne fasse l’objet d’aucun cadrage théorique qui, plutôt que de culpabiliser celle que l’on considère comme des victimes éventuelles, situerait clairement les responsabilités du côté d’une société dont le patriarcalisme s’accommode très bien d’un phénomène largement investi par l’économie marchande, qui joue sur les fantasmes, même les plus sexistes, pour vendre dans un contexte où consommer devient un des buts assignés au bonheur.

 

 

Patriarches de tous les pays unissez vous

Si l’aspect moralisateur contenu dans les propos ne déplaira pas sans doute à une frange de la population qui rêve d’un retour à l’idéal des « hussards noirs » dont on peut suivre la trace à travers les querelles récurrentes  sur l’école, nous continuerons à identifier les ressemblances qui surgissent lorsque l’on met à jour les sous-entendus du tel rappel. On retrouve à l’origine du mouvement #14septembre l’idée que les lycéennes ne sont pas tout à fait libres de choisir leur tenue en raison de l’effet produit sur les hommes « Plusieurs lycéennes interrogées s’offusquent en particulier d’un argument utilisé pour leur imposer de se couvrir : des tenues trop légères pourraient perturber le bon déroulement des cours. "En seconde, je portais un gilet à trous, une conseillère d’éducation m’a dit que ça n’était pas approprié au lycée et que je pouvais déconcentrer les profs et les garçons, rapporte Élisa, du lycée Condorcet40 . » selon Claude Habib « Toutes les sociétés rencontrent le problème de la domestication du désir masculin. Nous sommes des mammifères, et la testostérone produit des effets spécifiques » et pour J.W. Scott « l’Islam est un système qui affirme que le sexe et la sexualité sont des problèmes et que ceux-ci doivent être sous contrôle. » Ainsi, on peut mesurer combien des logiques similaires qui visent à contrôler le corps des femmes sont agissantes dans des cultures qu’on présente pourtant comme en complète opposition selon l’axiologie suivante, moderne/archaïque, libératrice/oppressive, universaliste/communautariste, des termes, chacun l’aura compris que recouvre le couple nous/eux, occident/islam. On peut mesurer aussi à quels points les critiques adressées à l’Islam en tant que système patriarcal instaurant une soumission des femmes au bénéfice des hommes,  invisibilisent des mécanismes de domination homologue dans notre propre culture entre la pression à se dénuder pour les unes, et à se voiler pour les autres, l’écart n’est pas si grand. Comme le dit Christine Delphy, «dans les deux cas le référent par rapport auquel les femmes doivent penser et agir leur corps reste le désir masculin41 »

Chaque année, 1,2 million de femmes sont victimes d’injures sexistes. Une salariée sur 3 déclare avoir subi du harcèlement sexuel au travail. Plus de 200 000 femmes vivent avec un conjoint violent. Chaque année, 94 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol. En 2019, 152 femmes sont mortes assassinées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. 4 millions de personnes ont été victimes d’inceste.

 

1 - https://www.liberation.fr/debats/2020/09/19/14-septembre-derriere-la-regle-floue-de-la-tenue-normale-se-cachent-les-discriminations_1799917

2 - https://www.leparisien.fr/societe/tenues-a-l-ecole-on-vient-habille-d-une-facon-republicaine-estime-blanquer-21-09-2020-8388612.php
3 -  https://www.liberation.fr/planete/2018/01/12/qui-est-tarana-burke-la-femme-a-l-origine-de-metoo_1621704
4 -  « Corps de femmes – sexualité et contrôle social » M. T. Coenen
5 -  https://www.cairn.info/corps-de-femmes-sexualite--9782804139476-page-13.htm
6 -  « Hommes affublés d'un soutien-gorge et d'une minijupe, femmes d'âge moyen accompagnées de leur fille, transsexuels hauts en couleur arborant talons aiguilles et boucles d'oreilles fluo, mères lesbiennes et femmes en burqa. Le 11 juin 2011, tous ont arpenté les rues du centre de Londres à l'occasion de la SlutWalk, ou "marche des salopes » C Bard 3Le féminisme au-delà des idées reçues » p 175
7 -  https://actu.fr/ile-de-france/montereau-fault-yonne_77305/lycee-une-eleve-interdite-dentree-a-cause-dune-jupe-trop-longue_6903926.html
8 -  https://www.sudouest.fr/2011/06/01/pour-une-jupe-trop-courte-au-college-elle-doit-porter-une-blouse-414642-3.php
9 -  https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/08/26/comment-le-burkini-est-devenu-la-polemique-du-mois-d-aout_4988517_4355770.html
10 -  https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/dossiers/parite-et-responsabilites-politiques/des-lois-pour-inciter/les-grandes-dates-de-la-parite/
11 -  S'agit-il d'une continuation de la deuxième vague ou de la naissance d'une troisième vague? En tout cas, c'est l'apparition sur la scène féministe d'une nouvelle génération née dans les années 1970. Elle est déterminée à combattre le sexisme. P 166 (…) ce qui caractérise la troisième vague est la profusion de nouvelles identités culturelles politiques qui complexifient toutes les questions traditionnelles du féminisme et en posent de nouvelles. P 169 C Bard « Le féminisme au-delà des idées reçues »
12 -  https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2013-2-page-205.htm
13 -  https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/07/30/elle-l-a-bien-cherche-le-douloureux-parcours-des-victimes-de-viol_5495045_3246.html
14 -  Le Contrat sexuel de Carole Pateman, publié en 1988 aux États-Unis (…)Au croisement de la théorie politique et de la critique féministe, l'auteure propose une relecture des théories classiques du contrat social à partir d'une proposition simple : « le contrat originel est un pacte indissociablement sexuel et social, mais l'histoire du contrat sexuel a été refoulée » (p. 21) (…)En effet, le contrat sexuel est à l'origine d'un droit sexuel : le droit des hommes, en tant qu'ils sont des hommes, de disposer librement du corps des femmes. https://journals.openedition.org/lectures/1256
15 -  « le contrat originel est un pacte indissociablement sexuel et social, mais l'histoire du contrat sexuel a été refoulée » (p. 21).
16 -  https://information.tv5monde.com/terriennes/viols-voiles-corps-de-femmes-dans-la-guerre-d-algerie-3406
17 -  https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/08/26/comment-le-burkini-est-devenu-la-polemique-du-mois-d-aout_4988517_4355770.html
18 -  Le premier pas est bien celui de la reconnaissance. De la reconnaissance des femmes qui portent le voile comme des êtres à part entière, de la reconnaissance de leur humanité pleine, de leur raison, de leur force d’agir et de penser. https://ntarajel.wordpress.com/2019/05/23/education-pour-toutes/
19 -  C’est ainsi qu’on peut appréhender des pratiques telles que la virginité (ou le voile), non pas tant comme des impositions culturelles subies, mais plutôt comme des stratégies, tentatives pour préserver une marge d’agency, parfois bien réduite il est vrai, dans un espace constitué de contraintes multiples et contradictoires. https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-3-page-123.htm
 https://www.20minutes.fr/politique/2627647-20191014-polemique-conseil-regional-contrairement-dit-elu-rn-accompagnatrice-droit-porter-voile
20 -  Comme le rappelle sur Twitter Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, « la loi de 2004 interdit le port de signes ostensibles aux seuls élèves – parce que mineurs en phase d’acquisition des bases du savoir – et non aux parents. Jacques Chirac et la Commission Stasi à l’origine de la loi ne voulaient justement pas d’une application plus large ». La loi de 2004 n’a donc jamais étendu l’interdiction du port du voile aux parents accompagnateurs.
21 -  https://www.huffingtonpost.fr/entry/maryam-pougetoux-etudiante-voilee-a-lassemblee-divise-encore-la-majorite_fr_5f6468bbc5b6480e896cb1c2
22 -  Agnès De Féo, Derrière le niqab. Dix ans d’enquête sur les femmes qui ont porté et enlevé le voile intégral, Armand Colin, septembre 2020 ; préface d’Olivier Roy. – 282 p.
23 -  « une personne qui de toute évidence a des signes manifestes de religion, d’islam politique en réalité » http://www.leparisien.fr/politique/responsable-de-l-unef-voilee-retour-sur-une-semaine-de-polemique-20-05-2018-7726500.php.
24 -  La loi SILT a été adoptée pour faire suite à l’état d’urgence, dont elle a adapté certaines dispositions dans la législation ordinaire. Elle prévoit notamment que, pour « prévenir la commission d’actes de terrorisme », les préfets peuvent prononcer la fermeture d’un lieu de culte « dans lequel les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes ». https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/13/fermeture-de-mosquees-une-association-accuse-l-etat-de-punition-collective_5475850_3224.html
25 -  "Quand on veut expliquer l'inexplicable c'est qu'on s'apprête à excuser l'inexcusable » la célèbre réponse de Nicolas Sarkozy à Arlette Chabot en 2007:
26 -  « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé », avait déclaré le premier ministre au Sénat, deux semaines après les attaques de novembre 2015. Il avait enfoncé le clou le 9 janvier, lors d’un hommage aux victimes de l’attaque de l’Hyper Cacher : « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »
27 -  https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/03/03/terrorisme-la-cinglante-reponse-des-sciences-sociales-a-manuel-valls_4875959_3224.html
28 -  https://www.huffingtonpost.fr/2016/11/18/la-robe-qui-avait-valu-des-sifflets-a-cecile-duflot-a-lassemblee-nationale-entre-au-musee_a_21609212/
29 -  https://www.huffingtonpost.fr/2017/10/15/isabelle-adjani-sur-laffaire-weinstein-en-france-il-y-a-les-trois-g-galanterie-grivoiserie-goujaterie_a_23243744/
30 -  https://www.terrafemina.com/article/harcelement-de-rue-3-millions-de-femmes-le-subissent-chaque-annee-en-france_a338062/1
31 -  https://www.terrafemina.com/article/6-femmes-sur-10-ont-peur-d-etre-agressees-dans-les-transports-en-commun_a265359/1
33 -  « L’homme est un prédateur sexuel, un conquérant. » E Zemmour, Le premier sexe p 32-33
34 -  https://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/feminicides-le-domicile-est-l-endroit-le-plus-dangereux-pour-les-femmes-selon-une-etude-de-l-onu_3052179.html
35 -  68 une histoire collective – La politisation des corps, F. Rochefort p 616
36 -  L’hypersexualisation « se manifeste dès lors qu’il y a surenchère à la sexualité qui envahit tous les aspects de notre quotidien et que les références à la sexualité deviennent omniprésentes dans l’espace public : à la télévision, à la radio, sur Internet, dans les cours offerts, les objets achetés, les attitudes et comportements de nos pairs, etc » « CONTRE L’HYPERSEXUALISATION, UN NOUVEAU COMBAT POUR L’ÉGALITE » Rapport parlementaire de Madame Chantal JOUANNO, Sénatrice de Paris 5 mars 2012
37 -  « CONTRE L’HYPERSEXUALISATION, UN NOUVEAU COMBAT POUR L’ÉGALITE » Rapport parlementaire de Madame Chantal JOUANNO, Sénatrice de Paris 5 mars 2012

38 - « CONTRE L’HYPERSEXUALISATION, UN NOUVEAU COMBAT POUR L’ÉGALITE » Rapport parlementaire de Madame Chantal JOUANNO, Sénatrice de Paris 5 mars 2012
39 -  « boys don’t cry » - Les limites du rôle de sexe masculin, M. Messner p 151
40 -  https://www.sudouest.fr/2020/09/14/tenue-correcte-exigee-des-lyceennes-revendiquent-le-droit-de-s-habiller-comme-elles-veulent-7844627-10407.php
41 -  https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2006-1-page-84.htm

 

 

 

 

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