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30 mai 2021 7 30 /05 /mai /2021 17:05

L'article avec les références des citations est disponible en pdf La lutte contre les discriminations passe par l'anti-racisme politique - Réponse à une tribune de Lydia Guirous

Les photos illustrant cette critique sont de Nancy Floyd, tirées de son fascinant projet qui « avait commencé comme une étude rigoureuse portant sur le corps humain ; il est devenu un témoignage imparfait de son existence. À 25 ans, tout juste diplômée, Nancy Floyd a l’idée de se photographier chaque jour au, afin de documenter ses changements physiques et son vieillissement.  » L’art ne permet-il pas cette mise en présence avec une humanité qui n’est pas la nôtre mais qui peut le devenir parce qu’elle nous émeut…             

 

 

Nous proposerons un contre-argumentaire à une tribune de Lydia Guirous qui nous semble recycler toutes les critiques formulées à l’encontre de la gauche, pour mieux la fracturer. Lydia Guirous est une féministe engagée à droite qui a créé « Le think tank « des femmes au service de l’homme » (exclusivement féminin) ambitionne  "d’apporter la vision des femmes sur les grands sujets politiques, économiques et sociaux  »

                                                                                                 

TRIBUNE. Lydia Guirous : "Le racialisme est un nouveau racisme, de gauche"

18h00 , le 3 avril 2021

Dans une tribune, l'essayiste Lydia Guirous critique l'approche d'une partie de la gauche qu'elle définit comme "identitaire". Pour elle, "ils croient lutter contre le racisme en ayant pour obsession la race et la couleur de l'autre".

Voici la tribune de Lydia Guirous, essayiste* et ancienne porte-parole des Républicains :

 "Il y a 60 ans, un groupe de jeunes américains, catholiques, juifs, protestants, peut être musulmans également, noirs et blancs, métisses, qu'importe finalement, avaient décidé de partir à bord du "bus de la liberté" sur les routes du sud des Etats-Unis pour dénoncer la ségrégation raciale persistante. Ils étaient jeunes, ils œuvraient pour un monde sans racisme, où l'homme était un homme avant tout... "Qu'il me soit permis de découvrir et de vouloir l'homme, où ils se trouve. Le Nègre n'est pas. Pas plus que le blanc" disait Frantz Fanon (Peau noire, masques blancs. 1952).

On peut s’étonner de cette référence à Fanon dans une tribune qui fustige ses héritiers. Certes il s’agit bien pour Fanon d’inscrire les luttes dans l’utopie régulatrice de réaliser une société délivrée du racisme et de la race, qui supprimerait l’aliénation dont sont victimes les noirs et les blancs « Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la tour substantialisée du passé », pour faire advenir une humanité qui leur est commune. Mais l’analyse qu’il fait de la société coloniale et de « l’être noir » s’appuie sur le concept de race qui est d’abord une relation dans laquelle les blancs saisissent les noirs « Je sens, je vois dans ces regards blancs que ce n’est pas un nouvel homme qui entre, mais un nouveau type d’homme, un nouveau genre. Un nègre, quoi. (…) Le monde blanc, seul honnête, me refusait toute participation. D’un homme on exigeait une conduite d’homme. De moi, une conduite d’homme noir — ou du moins une conduite de nègre. » En effet pour ceux qui ont lu « Les damnés de la terre » ou « Peau noire, masques blancs » il ne fait pas de doute que « Fanon tient pour nécessaire de se débarrasser de tout ressentiment lié à un passé révolu, mais pour mieux concentrer l’énergie de sa révolte sur les injustices du présent. Un tel programme intellectuel et politique rejoint largement celui de l’antiracisme politique actuel  »

Françoise Verges livre un commentaire de « Peau noire, masque blanc » qui rend compte de cette approche « Pour Fanon, l’émancipation se faisait par la conquête  de  la  liberté,  une  conquête  âpre  et  violente.  Si  la  liberté  était  donnée,  il  n’y  avait  pas  émancipation (…) Or,  le  maître  et  l’esclave  ont  existé  grâce  au  projet  colonial  français  et  l’empire  colonial  a  été  construit  par  des  républicains .  A  chaque  fois,  la  «  race  »  a  été  convoquée  pour  justifier,  classifier.  La  colonisation  reposait  sur  un  étrange  mélange  de  réalité  et  de  fiction,  réalité  :  travail  forcé,  inégalités  raciales  et  sociales  ;  fiction  :  la  France  bonne et généreuse, l’amour des colonisé. (…) Être  « Noir »  est une expérience vécue (titre d’un des chapitres de Peau noire, masques blancs) qui doit être analysée parce qu’elle révèle l’idéal disciplinaire, régulateur de l’ordre racialisé. La « race » n’est pas une  simple  aberration à combattre sur le plan rationnel, elle « habite » et organise la vie sociale. Le « Noir » est défini par des discours qui le précèdent et qui l’excèdent. « Aucune chance ne m’est permise. Je suis déterminé de l’extérieur » analyse Fanon. La subjectivité de l’homme « Noir » est conditionnée par la notion de « race». Cette dernière opère une  aliénation  de  soi  intime  et  radicale,  car  la  connaissance  intime  du  « Noir »  est encore nourrie de ce que « le Blanc » a produit, « mille détails, anecdotes, récits» (…) Comment alors imaginer un humanisme universel quand la « race » est devenue consubstantielle à la  subjectivité de l’homme  « Noir » ? Tout au long de Peau noire, masques blancs, Fanon revient sur cette détermination : comment s’en libérer ? « J’étais tout à la fois responsable de mon corps, responsable de ma race, de mes ancêtres ». Comment  atteindre  un  humanisme  universel ?  » (…)  Matthieu Renault dans un article déclare que « si Fanon ne cesse d’affirmer que le colonialisme, en tant qu’il est gouverné par le manichéisme, est négation de toute réciprocité, il n’en argue pas moins que la racialisation – qui l’accompagne comme son double – est quant à elle bel et bien mutuelle : le Blanc opère sur lui-même ce qu’il opère sur le Noir ; au moment même où il le racialise, il se racialise. L’argument de Fanon ne peut donc être reconduit à la formule : le racisme est blanc, la race est noire – le blanc se définissant négativement, comme la norme (non raciale). Pour Fanon, la race est (aussi) blanche. Il est vrai que l’objet premier de ses préoccupations est l’invention de la race noire et l’introjection de l’imagonègre par son « objet » : l’homme noir . »

Mauvaise pioche donc…

 

Aujourd'hui certains prétendent être les héritiers de ces courageux militants anti-racistes, pourtant ils en sont tellement loin... Ils sont même leur exact opposé. Ils prétendent lutter contre le racisme, mais en fait ils séparent, distinguent, trient les personnes en fonction de leur couleur de peau. Ils remettent la "race" au cœur du débat public, alors que nous la croyions reléguée dans les archives de l'histoire.

 

Ce sont effectivement ces phénomènes qui constituent ce que des chercheurs appellent « un racisme systémique » qui hante toujours les institutions de la République et qui se diffuse dans la société toute entière. Un temps premier ministre M Valls, avait évoqué « un apartheid territorial, social, ethnique » où

A cette « misère sociale (…) s'additionnent les discriminations quotidiennes parce que l'on n'a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau, ou bien parce que l'on est une femme  ».

Ainsi, ce n’est pas la gauche qui sépare, trie et remet la race au cœur du débat public, mais le fonctionnement de la société. Les enquêtes menées par E Fassin confirment ce phénomène « Depuis des années, je m’efforce d’étudier les politiques de racialisation. L’action publique produit en effet une racialisation qu’elle s’emploie par ailleurs à combattre. C’est manifeste dès lors qu’on se place dans la perspective, non pas des intentions proclamées, mais des résultats constatés.  » Nous prendrons trois exemples pour illustrer notre propos

Le premier a trait à la construction de la racialisation de la délinquance « Le couple “immigration/insécurité” a suscité un intérêt constant des médias à l’époque contemporaine, facilitant l’assimilation de l’étranger à un délinquant : les exemples sont nombreux pour le XIXe siècle ou pour  l’entre-deux-guerres.  Philippe  Videlier  a  montré  que  la  figure  emblématique du crime ou de l’insécurité depuis le siècle dernier est l’étranger. L’ouvrage déjà daté de Louis Chevallier, Classes laborieuses et classes dangereuses, révèle aussi le caractère intemporel du sentiment d’insécurité. Les classes dangereuses du XIXe siècle, les ouvriers, les pauvres et les exclus, ont pris au XXe siècle le visage de l’immigré partie prenante des nouvelles classes dangereuses. Cette relation qui confond la connotation sociale et la connotation raciale confirme l’idée de la permanence de la relation dominant/dominé à travers l’histoire puisque les deux catégories ouvriers et immigrés se réfèrent  au  même  système  symbolique  de  représentation.  En  1983,  le  journaliste Bernard Legendre parle dans Le Monde de cette  crainte diffuse qui, quand elle s’exprime, accuse le basané, l’étranger d’être fauteur de troubles : Leur présence au-dessus d’un certain seuil accroîtrait l’insécurité et interdirait le repos aux braves gens. » L’article « La délinquance immigré d’histoire d’un préjugé à la peau dure » paru dans « Migration et société » en 2007 analyse cette utilisation de l’assignation raciale pour construire une menace. On pourra suivre le devenir de cette entreprise en remarquant la nouvelle figure de cet ennemi intérieur qui aujourd’hui s’est déplacée sur l’Islam.

Le second est issu d’une analyse de la politique du logement social menée par les bailleurs sociaux, appréhendée à travers l’exemple de la ville de Marseille « Cet article vise à s’interroger sur le racisme dans la politique du logement social à partir de l’exemple marseillais. Dans la première partie, consacrée aux enjeux théoriques du concept de racisme institutionnel, nous montrons comment ce concept permet de dépasser les insuffisances des approches individualistes ou structuralistes du racisme en s’intéressant à la façon dont les acteurs au sein des institutions construisent et mobilisent de façon routinière des principes de classification ethniques et développent des pratiques dont l’effet (et non l’intention) est d’exclure ou d’inférioriser certains groupes ethniques (en particulier, en ce qui concerne la politique du logement social, des pratiques discriminatoires et ségrégatives). Dans la seconde partie, relative à la mise en évidence du racisme institutionnel dans les attributions de logements sociaux à Marseille, nous montrons comment les acteurs des attributions sont soumis à des contraintes et contradictions qui les conduisent à construire des définitions ethnicisées des « clients » et des « équilibres territoriaux ». Ces catégorisations sauvages aboutissent à la production de routines entretenant la discrimination et la ségrégation ethniques.  »

Le troisième fait référence au discours de Jacques Chirac prononcé le 19 juin 1991 et connu comme Le Discours d'Orléans. Il s'agissait d'un dîner-débat du RPR à Orléans, devant 1 300 militants et sympathisants. J Chirac était alors président du Rassemblement pour la République (le RPR) et maire de Paris, et ce discours portait sur un éventuel recadrage de la politique d'immigration française. Celui qui allait devenir président de la République se permet d’utiliser des catégories raciales pour séparer les personnes faisant pourtant partie de la même classe sociale « Notre problème, ce n'est pas les étrangers, c'est qu'il y a overdose. C'est peut-être vrai qu'il n'y a pas plus d'étrangers qu'avant la guerre, mais ce n'est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des musulmans et des Noirs […] Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d'or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur, eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C'est comme ça. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela. Nous n'avons plus les moyens d'honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui s'impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s'il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d'une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu'ils ne paient pas d'impôt !» Malheureusement cet appel à voir la race n’est pas isolé. En 2009, M Valls souhaitait décolorer un peu une foule qu’il estimait trop racisée « Dans une séquence diffusée le 8 juin sur Direct 8, Valls, dans les allées d'une brocante, soupire: «Belle image de la ville d'Evry...» Et demande à l'homme qui l'accompagne: «Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos. » Brice Hortefeux, lui aussi, a vu la race, dans une séquence fameuse et tout en finesse de racisme franchouillard "Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière." "Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype, répond Brice Hortefeux. C'est pas du tout ça." "C'est notre petit Arabe", souligne la participante. "Bon, tant mieux, dit M. Hortefeux. Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes. Allez, bon courage …"

Alors oui, obsession de la race et de la couleur de l’autre comme le dit Lydia Guirous, mais de bien mauvaises lunettes ne lui permettent pas d’identifier les responsables…

Certains d'entre eux avaient pourtant milité pour la suppression de la référence à la "race" dans notre Constitution. Voilà qu'aujourd'hui, ils croient lutter contre le racisme en ayant pour obsession la race et la couleur de l'autre.

 

« Doit-on admettre que ce qu’on ne nomme plus n’existe plus ?  » En prétextant de la désuétude du racisme biologique ou hiérarchique qui a constitué le paradigme dominant du siècle passé, on voudrait se priver d’étudier et de comprendre les formes contemporaines du racisme qui est avant tout une expérience sociale, celle d’être constitué comme un problème par le groupe majoritaire "Le problème, c'est que la plupart de ces jeunes sont des noirs ou des Arabes avec une identité musulmane.  » déclarait A Finkielkraut suite aux émeutes de 2005, ce que révélait déjà W.E.B. Du Bois « Entre moi et les autres, il y a cette question qui ne m’est jamais posée et qui pourtant est toujours dans l’air : qu’est-ce que cela fait d’être un problème ? Et c’est vrai qu’être un problème est une étrange expérience. » Une expérience qui a des conséquences symboliques et des effets concrets pour les individus stigmatisés, assignés à une identité subalterne, et qui génère de la souffrance tant psychologique que sociale. Supprimer le mot race de la constitution ou refuser d’utiliser des catégories raciales dans les statistiques, n’effacera pas des consciences l’expérience du racisme

Pierre-André Taguieff grand pourfendeur d’islamo gauchiste était contre cette suppression en donnant des arguments intéressants : « ces anti-racistes sans esprit critique (…) affirment comme une évidence qu'il faut bannir du vocabulaire, en commençant par le supprimer dans les textes officiels, ce mot jugé intrinsèquement souillé et corrupteur. Ils postulent donc que le simple emploi du mot «race» constitue à la fois un indice et un vecteur de racisme. L'antiracisme devient ainsi une police du langage, appelant à manier un rasoir d'Occam politisé pour supprimer les mots jugés suspects ou criminels, en commençant par le mot «race». C'est là en même temps criminaliser les interrogations et les discussions sur la question, et donc nourrir le terrorisme intellectuel (…) Dans l'imaginaire antiraciste, le mot «race» a depuis lors été perçu comme porteur du «virus» raciste, voire assimilé à un virus. Dans la vulgate antiraciste, en effet, le racisme est fantasmé et dénoncé comme une maladie contagieuse. C'est là rester sous l'emprise de la pensée magique, qui se représente les noms comme des véhicules de forces bénéfiques ou maléfiques. Et les antiracistes qui croient lutter contre le racisme en proposant d'interdire l'usage du mot supposé contagieux se comportent comme des magiciens. Il ne s'agit plus de soumettre à un examen critique une thèse ou une notion, mais de prohiber l'emploi d'un mot diabolisé. Alors qu'ils prétendent bruyamment «démonter» ou «déconstruire les stéréotypes et les préjugés», ces antiracistes illustrent par ce programme de prohibition lexicale la vision magique qu'ils ont du racisme et de leur lutte »

 

Ils font fausse route car on ne lutte jamais contre le racisme en se vautrant dans la vengeance raciale.

 

Il ne s’agit pas de crier à la vengeance mais de réclamer la justice, comme le résume si bien « le comité Adama » dans la formule « Pas de paix sans justice » rappelant des propos de Jean Paul II lors de la célébration de la journée mondiale de la paix en 2002  « Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon : je ne me lasserai pas de répéter cet avertissement à ceux qui, pour un motif ou un autre, nourrissent en eux la haine, des désirs de vengeance, des instincts destructeurs  ». Mais pour répondre à l’idée d’une possible volonté de vengeance raciale que porteraient les revendications des dominés, nous laisserons parler F Fanon dans « Peau noire et masques blancs » « N’ai-je donc pas sur cette terre autre chose à faire qu’à venger les Noirs du XVIIe siècle ? (…) Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race. (…)Je n’ai ni le droit ni le devoir d’exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués (…) Non, je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine au Blanc. Je n’ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au Blanc (…) Je me découvre un jour dans le monde et je me reconnais un seul droit : celui d’exiger de l’autre un comportement humain.  Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. (…) Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ?  Vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la Culpabilité dans les âmes ? »

F Fanon propose aux hommes de créer leur humanité en se libérant de ce qui les domine. Voilà ce qu’aurait pu nous dire L Guirous si elle l’avait lu…

 

 

Le "blanc" (Qui est blanc ? A partir de quand sommes-nous blanc ? Le suis-je ?)

 

Ceci est une bonne question. Dans sa pièces intitulée « Les nègres », Jean Genet se demandait « Qu’est-ce donc un noir ? Et d’abord, c’est de quelle couleur ? » preuve qu’il est bon de s’interroger sur des catégories tellement naturelles qu’elles nous paraissent aller de soi, alors qu’elles nous cachent les conditions sociales de leur élaboration.

En 2012 François Copé avait pointé un racisme anti-blanc  supposé se développer dans les quartiers, en reprenant implicitement une catégorie, « la blanchité » soudain devenue visible dans un universalisme pourtant pensé comme aveugle à la couleur de peau, et dans lequel tout à coup nous prenions conscience que les blancs existaient. En effet, le passage « de la question raciste, à la question raciale » est un véritable changement de paradigme « La dénonciation du racisme organisait le débat public-en France depuis la percée du Front-national dans-les années 1980, circonscrivant le problème en quelque sorte aux extrêmes. Avec les discriminations, l'innovation consiste à reconnaître que la « question raciale » excède les marges et concerne la société et ses-institutions dans leur ensemble.  » Les discriminations qui rendaient visibles l’altérité des autres allaient faire apparaître, comme un révélateur pour l’encre invisible, la nôtre. La « question blanche » devenait partie intégrante du problème, nous réintroduisant dans la puissance des logiques sociales qui semblaient produire un racisme sans race « Il ne s’agit pas de développer une approche morale visant à culpabiliser la « fragilité blanche » (selon le titre du livre de R Di Angelo), mais à interroger politiquement le rôle du groupe majoritaire dans la reproduction des inégalités sociales, mais aussi raciales et de genre.  »

Pris selon cette perspective, « le blanc, la blanchité » est d’abord un rapport social avant d’être une couleur de peau, même s’il se trouve que tiré de l’analyse de la société américaine, ce rapport social qui fait jouer à la race un rôle discriminant, se trouve réifié par les populations noires et blanches aux Etats-Unis. Dans le corpus des études critique « le qualificatif ne désigne pas une qualité de l’être, mais une propriété sociale. Non pas une identité sociale, mais une position dans la société, résultant d’un processus collectif.  » En dehors de la France, des mouvements d’émancipation ont critiqué la vision pigmentaire du racisme, les noirs devenant alors, tous ceux qui sont rejetés comme non-blancs , montrant que les bataille de classification théoriques ou pratiques des enquêtes, étaient aussi des luttes sociales « Dans un essai de 1751, B Franklin ne considérait comme blancs que les Anglais et les Saxons, en excluant les Espagnols, les Italiens, les fraçais, les Russes et… les Suédois considérés comme basanés . »

Ainsi, des études, dont l’une au titre très évocateur de Grainne O’Keeffe-Vigneron « Les plus noirs des Blancs : revendications identitaires des Irlandais en Angleterre à la fin du XXe siècle » montrent que des populations blanches ont dû construire leur « blanchité » lorsqu’elles se sont insérées dans une société où la matrice raciale devenait un mode de gestion de l’immigration « La Grande-Bretagne a été confrontée, après la Seconde Guerre mondiale, à des vagues successives d’immigration provenant du Commonwealth. (…)   La présence d’une population immigrée « de couleur » et les débats qui s’ensuivirent conduisirent à une redéfinition et à une reconstruction « raciales » de la citoyenneté britannique et de la notion de Britishness (« britannicité ») qui aboutit à exclure « les gens de couleur ». (…) A Eden premier ministre déclare « Quand les individus […] parlaient de maintenir la façon de vivre anglaise, ils ne se référaient pas simplement à des modèles économiques ou régionaux mais explicitement à la préservation du « caractère racial des Anglais ». Nous avons développé ici un processus […] fondé sur une construction raciale du sujet « britannique » qui exclut ou inclut les sujets d’après leur « race » ou leur « couleur de peau » (…) La population blanche, immigrée ou non, allait être construite, à partir de ce moment-là, comme une population homogène et les problèmes liés à l’immigration allaient être attribués aux personnes « de couleur » (…) Étant donné que les Irlandais étaient pour la plupart blancs, ils ne furent pas considérés, dans les discours officiels et populaires, comme une population différente de la population de souche et commencèrent donc à être construits comme un groupe « invisible » dans les lois et les discours autour de l’immigration. (…) de nombreux témoins disent avoir vu des pancartes, à côté des offres de travail et de logement, qui mentionnaient : « Pas de gens de couleur, pas d’Irlandais, pas de chiens ». Même si finalement les Irlandais furent exclus des contrôles de l’immigration, cela ne les dispensait pas d’être victimes de stéréotypes et de discriminations, bien qu’ils fissent partie de la population blanche. (…) Pendant les années 1980 et 1990 de nombreuses études sur le logement montrèrent que la population irlandaise était désavantagée par rapport à la population anglaise de souche ; (…) Les auteurs des études ont observé que les taux de mortalité pour les Irlandais en Grande-Bretagne étaient plus élevés qu’en Irlande et que la population masculine irlandaise était le seul groupe d’immigrés où la mortalité prématurée était plus élevée en Angleterre et au pays de Galles que dans son pays d’origine (…) De plus, les Irlandais ont souffert pendant des années du racisme et de la discrimination dans la société anglaise ; (…) Ce rapport reconnaît qu’une population blanche peut rencontrer du racisme, que cette population peut également posséder sa propre identité ethnique et que ce « label » n’appartient pas exclusivement aux personnes de couleur  »

On pourra aussi voir que le blanc est un rapport social de race qui vient s’insérer dans les rapports sociaux de classe avec « la tuerie d’Aigues-Mortes » de 1893 qui opposa des ouvriers français et italiens « Les années 1970 ont eu leurs ratonnades. À la fin du XIXe siècle, à peu près dans les mêmes régions—dans le midi de la France surtout— on s’adonnait au lynchage d’Italiens. Sans doute, avant 1900, le grand Sud-Est concentrait-il près des trois quarts des Transalpins de France, avec des proportions de 20% de la population dans les Alpes-Maritimes et de 12% dans les Bouches-du-Rhône. Dans le nord de l’Hexagone, on fait plutôt la chasse au Belge. Pourtant, jusqu’en 1900, les Italiens sont de loin la cible privilégiée de l’hostilité populaire. (…) c’est l’assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Santo Jeronimo Caserio qui entraîne le saccage des boutiques italiennes à Lyon et dans d’autres villes proches. À Paris, la situation est plus calme, mais voici le genre d’affiche qu’on trouve : «Cet assassinat a été commis par un Italien— et nous autres Français supportons sans rien dire la présence de ces êtres infects dans nos usines où ils occupent la place d’honnêtes ouvriers français qui meurent de privations et de misère. Depuis longtemps nous avons l’intention et le désir de nous débarrasser de cette vermine» (…) Les événements vont se charger de leur rappeler qu’ils ne sont pas justement des Français comme tout le monde  .»

Sans doute toutes les vagues migratoires européennes qui ont touché la France ont-elles été confrontées à cette difficile expérience de devoir devenir « blanc » pour être intégrées à la nation française, voir à ce propos « Les portugais et les marches de 1983 – 1984  », ou les études qui montrent « l’intense racialisation des rapports sociaux dans la France du XIXe siècle : les classes dangereuses urbaines, les populations paysannes mais aussi les ouvriers immigrés des pays européens ont tous été pensés sous l’angle de la différence raciale.  »

Le "blanc" est pour eux un bourreau conscient/inconscient  ou un bourreau en devenir. Le blanc est le "dominant" qui jouirait d'un fameux "white privilege".

 

Oui, il s’agit d’étudier les discriminations sous l’angle du concept de domination et de montrer comment les identités sont construites en références à des idéologies néo-coloniales qui retraduisent des différences constatées en infériorités essentialisées, actualisées dans les rapports sociaux inégalitaires qui viennent croiser ceux de classe et de genre. On retrouve le point de vue de « l’intersectionnalité » tant décrié par la droite. Quant au « privilège blanc » qui reste une hypothèse de recherche qui semble productive et pertinente , il provient de Peggy McIntosh . Rapidement résumé, il explique que les blancs trouvent un monde fait pour eux, où ils peuvent oublier les conditions sociales qui ont contribué à produire ce monde, un peu comme « un valide » qui ne voit pas les difficultés qui se présentent pour un « invalide » lorsqu’il circule dans un monde qui n’a pas été pensé pour lui. Dit autrement, le privilège blanc réside dans le fait que les blancs ne subissent pas de discriminations. Tania de Montaigne est en désaccord avec cette conception «  Pour elle, le problème de ce concept “c’est qu’on en déduit en fait que les blancs ont des droits parce qu’ils sont blancs et donc qu’il va falloir inventer des nouveaux droits pour les noirs parce qu’ils sont spéciaux…” poursuit-elle. Le texte de Virginie Despentes apparaît donc, à ses yeux, comme “une reproduction à l’identique du principe de hiérarchisation des races ». Elle préconise alors de porter davantage notre regard sur le fait qu’“il y a des gens (…) pour lesquels l’exercice des droits humains est soit tronqué, soit inexistant”, ce qui crée “une rupture d’égalité”, plutôt que sur le concept de “privilège blanc” qui marginalise les personnes discriminées  » Tania de Montaigne emprunte une ligne de crête où elle affirme avec raison, qu’il y a une rupture d’égalité puisque les inégalités sont issues de pratiques discriminantes. Ce sentiment est confirmé par l’enquête Santé Inégalité et Ruptures Sociales conduite entre 2005 et 2010 qui indique que la proportion d’individus qui considèrent que leurs propres droits ne sont pas respectés varie dans l’agglomération parisienne de 21% dans les quartiers de types supérieurs à près de 44% dans les quartiers de types populaires et ouvriers. Mais elle ramène la question du privilège blanc à un aspect juridique. Or cet aspect n’épuise pas la question, car ce ne sont pas simplement des inégalités devant la loi sur lesquelles se fondent les discriminations, l’égalité en droit des citoyens français est un des acquis de la République française, mais sur des pratiques quotidiennes. Cette remarque ne signifie pas qu’il faut abandonner les recours à la loi, ces luttes ont permis certaines avancées comme la condamnation de l’Etat français pour des contrôles d’identité discriminatoires , mais le rapport du Groupe d’Etude sur les Discriminations pointe des limites à ces recours  « Dans l’impossibilité de prouver la discrimination, tout se passe en effet comme si elle s n’étaient pas titulaires du droit fondamental à l’égalité de traitement et la violation de leurs droits n’est pas reconnue.  » Tout le monde a les mêmes droits mais à l’intérieur de ce qui est permis par la loi, il y a une marge utilisée par les acteurs pour des pratiques discriminantes parfois non-intensionnelles. E Macron s’est lui-même référé à l’expression et en a donné des exemples « Je constate que, dans notre société, être un homme blanc crée des conditions objectives plus faciles pour accéder à la fonction qui est la mienne, pour avoir un logement, pour trouver un emploi, qu'être un homme asiatique, noir ou maghrébin, ou une femme  asiatique, noire ou maghrébine.  » ramenant bien le problème à des pratiques sociales qui génèrent des conditions objectives plus favorables aux blancs, dans un cadre où l’égalité est pourtant garantie par le droit. Il est très difficile en droit de prouver l’intention raciste du contrôle au faciès, de la non location du logement, d’une orientation scolaire défavorable etc… Que faire à la déclinaison de votre identité, lorsqu’on vous répond que le logement est déjà loué ? Et lorsque l’ensemble de ces comportements agrégé représente un pourcentage significatif dans une statistique, on ne peut les expliquer simplement par un racisme inhérent aux individus, ceux-ci le deviennent parce qu’ils trouvent de bonnes raisons d’adopter ce comportement dans une société qui réagit à la race contrairement à ce qu’elle affirme. D’autres parts, toutes les discriminations ne peuvent être assimilées à une rupture d’égalité, en particulier lorsqu’elles relèvent de ce que Philomena Essed qualifie de racisme « du quotidien  » constitué par des microagressions logées dans les interactions familières « Comment agir face à ces formes de minoration qui se caractérisent par leur invisibilité et ne constitue pas nécessairement des infractions manifestes à la déontologie ?  ». Il existe toute une partie des discriminations difficilement visibles aux yeux même de ceux qui en sont victimes, car elles s’inscrivent dans une certaines banalité du mal, une sorte de routine coutumière qui pousse les acteurs à les accepter comme un fait social inéluctable « Cette banalisation des expériences de minoration découle de leur fréquence et de leur répétition pour nombre d’habitants de quartiers populaires.  »

Alors, privilège blanc ? L’expression est clivante, elle est sans-doute imparfaite mais elle ne doit pas faire obstacle aux convergences qui doivent se réaliser pour abolir les discriminations, car une fois celles-ci  disparues il n’y aura plus ni blancs, ni noirs, ni privilèges… C’était le message de F Fanon.

Les ouvriers "blancs" des usines aux trois-huit, ceux d'hier des mines, les paysans au RSA, apprécient chaque jour ces fameux "privilèges"...

 

Il est bien évident que la lutte des classes n’a pas disparu contrairement à ce que les amis de L Guirous aimeraient faire croire. Il y a bien des caractéristiques objectives qui unissent les classes populaires, dont la première est leur position dans le système économique néo-libéral. Mais à l’intérieure de cette classe des exploités, les études montrent qu’il existe des différences qui peuvent être analysées au prisme de la race ou du genre. « Plusieurs études ont mis en évidence un taux de chômage élevé au sein de la population immigrée et une faible participation des femmes immigrées au marché du travail (Insee,  2005).  Elles  montrent également que l’emploi des immigrés  se  concentre  dans  certains secteurs d’activité, comme la construction, mais aussi dans le  milieu  ouvrier,  notamment non  qualifié,  et les  emplois  de services. Parmi les personnes occupant un emploi, quatre immigrés sur dix sont en effet ouvriers en  2002,  contre  seulement  un quart des non-immigrés. Nous renvoyons au focus du rapport du CNCDH concernant l’emploi et nous citerons une étude de l’INSEE de F Mikol et C Tavan « La mobilité professionnelle des ouvriers et employés immigrés  » : « les immigrés ont des chances de promotion légèrement inférieures aux non-immigrés (…) En revanche, détenir un diplôme  supérieur  ou  égal  au baccalauréat  accroît  certes  les chances de promotion des immigrés, mais dans des proportions moindres que pour les non-immigrés (…) Ces écarts entre les taux de promotion reflètent en partie des structures différentes en termes d’emplois occupés. En effet, parmi les employés non qualifiés, un immigré sur trois occupe un poste d’employé de maison, de femme de ménage ou de gardien d’immeuble, contre seulement 7 % des non-immigrés (..) Les chances de promotion des femmes immigrées sont 23 % plus faibles que celles des non-immigrées. Les femmes immigrées occupent en effet plus souvent que les non-immigrées des professions à faible taux de promotion : employées de maison, concierges, nettoyeuses, couturières, etc.» L’étude indique au passage qu’à l’intérieur des discriminations de race s’exercent des discriminations de genre « Le fait d’être immigré est pénalisant pour les femmes quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle de départ. » Est pointée ici, une discrimination de genre agissant pour maintenir les femmes immigrés sur des emplois de bas niveau « En revanche, les femmes immigrées – que les institutions publiques comme l’insee définissent, depuis les années 1990, comme personnes étrangères ou Françaises par acquisition nées à l’étranger – témoignent pour la majorité d’entre elles de « l’adhérence » au bas de l’échelle, à tel point que l’on peut légitimement se demander si ces femmes n’ont pas pour propriété la place du bas, le terme de « propriété » étant considéré dans sa double acception, à savoir d’abord selon le sens commun en tant que « possession » d’un lieu, et selon le sens sociologique de « propriétés sociales », c’est-à-dire en tant que caractéristiques sociales propres, spécifiques . » On voit donc que la classe ouvrière n’est pas un tout homogène, un bloc non différencié où n’opèreraient pas, plus finement peut-être, d’autres rapports de domination que ceux de classe. « La gauche a fait savoir que ce nous national n’était pas homogène. Mais le nous ouvrier n’est lui-même pas homogène : il compte une série de strates. Et ça, une grande partie de la gauche et de l’extrême gauche s’est construite sans le voir. Dire que la classe ouvrière est homogène, c’est par exemple nier l’oppression des femmes en son sein. Les immigrés se situent dans le bas de cette classe ouvrière : ils occupent la place la plus précaire — il y a donc une spécificité à prendre en compte. L’unification de la classe ouvrière est un résultat, pas un point de départ.  »

 

Derrière le racialisme se cache une lutte des classes qui rendrait acceptable toutes les manifestations de ségrégation pourvues qu'elles s'exercent sur un "privilégié" donc un "blanc".

En cela le racialisme est un nouveau racisme venu de la "gauche identitaire", cette gauche qui rejette l'universel et vénère la race, la religion, le genre, l'origine

 

L’argument est classique, il s’agit d’un racisme à l’envers qui sépare ce que l’universalisme républicain unit, y compris pour se faire, en faisant appel à la notion de « diversité  » qui introduit pourtant, même de façon consensuelle, un écart à la norme unitaire sur laquelle s’appuie le modèle d’intégration français . Ce « mythe républicain » refuse de concevoir que les minorités en son sein, ne procèdent pas d’une essence raciale, culturelle ou religieuse, qui ne serait pas effacée par l’entreprise d’intégration à laquelle elles sont soumises, mais qu’elles sont fabriquées par un universalisme inachevé « Il ne s'agit plus d'une inégalité statutaire inscrite dans la loi comme avec le Code noir, le Code de l'indigénat ou les lois sur le séjour des étrangers, mais de traitements quotidiens, dans l'infra-institutionnel ou dans les pratiques sociales. La différence est sécrétée par la structure même de la société et sa sensibilité à la visibilité des écarts à la norme. Par son incapacité à prendre en charge une régulation pluraliste de la diversité, la République fabrique de l'ethnicité. » Cette ethnicisation de l’intervention politique peut s’observer dans la politique de la ville par exemple , qui amène à voir certains territoires comme des zones de non droit « En ce sens, l’ethnicité ne constitue pas exclusivement une manifestation minoritaire (expression particulariste d’un état de domination, retournement du stigmate ethnique…) mais représente également une production étatique légitime qui participe autant au décryptage des rapports sociaux qu’aux logiques matérielles ou symboliques d’action publique.  » V Geisser imputant même cette éthnicisation aux fondements républicains concevant la citoyenneté comme une forme de communautarisme majoritaire

 

Le racialisme déshumanise "l'homme blanc" et ouvre aussi la porte à l'intolérable, à la violence, à l'injustice et relativise la souffrance de l'autre car il ne serait pas de la bonne couleur. Il est un racisme qui s'exerce au nom des "dominés", ainsi il serait donc juste de demander aux "blancs" de "se taire", de poser un genou à terre, de s'effacer, et bientôt d'être "cancel" ?

 

Jusqu’à présent, les violences sont plutôt dirigées contre les personnes racisées et le racialisme a précisément consisté à animaliser l’autre en le déshumanisant, que l’on songe « aux zoos humains » où sont présentés tous les peuples composant l’Empire colonial français, entre 1810 et 1940, environs 35000 hommes, femmes et enfants ont été arrachés à leur terre lointaine pour être exhibés comme des animaux sauvages dans des zoos en Occident, ou aux cris de bêtes des supporters qui brandissent des bananes à l’encontre des joueurs racisés  « Le vocabulaire de stigmatisation de la sauvagerie — bestialité, goût du sang, fétichisme obscurantiste, bêtise atavique — est renforcé par une production iconographique d’une violence inouïe, accréditant l’idée d’une sous-humanité stagnante, humanité des confins coloniaux, à la frontière de l’humanité et de l’animalité  ». Le thème central de la tribune de L Guirous consiste à retourner les mots contre ceux qui en subissent les maux. Qui est racialisé, qui subit le racisme et sa violence, qui est dominé ? Il faut avoir une bonne dose de tartuferie pour prétendre que les blancs pourraient être victimes d’un racisme systémique dans une société où ils sont majoritaires. Mais sur le fond, il est révélateur de penser qu’une critique des dominations puisse déboucher sur la vengeance des dominés, et non pas sur l’émancipation, comme si la victoire des uns correspondait à la défaite des autres. On retrouve ici la même vision du féminisme intersectionnel, qui serait une attaque contre les hommes destinée à leur faire prendre la place des femmes en retournant la domination patriarcale contre eux. Cela révèle cette supercherie qui voit la société comme un consensus pacifié, seulement troublé par des éléments étrangers au corps social national (judéo bolchévisme, islamo gauchisme), introduisant une altérité agonistique, là où il n’y aurait qu’une identité heureuse, déclinée dans l’universalisme de ses valeurs, dont la critique relèverait forcément d’intentions mauvaises.

Heureusement que L Guirous, dans ces traitements qui seraient bientôt infligés aux blancs, n’a pas parlé de ces crimes impunis et autres ratonades sur lsquels R Brahim a consacré un travail de recherche « Durant sept ans, Rachida Brahim, docteure en sociologie, a examiné 731 crimes racistes — des attaques ou des meurtres commis de 1970 à 1997, en France continentale. Ce minutieux travail d’enquête est devenu un livre, La race tue deux fois » et dont nous tirons quelques exemples :

« Ainsi par exemple l’assassinat de Habib Grimzi :« c’est une des affaires les plus retentissantes des années 1980. Au moment des faits, Habib Grimzi, un Oranais de 26 ans, est en vacances depuis une quinzaine de jours en France. Le 15 novembre 1983, il prend le train Bordeaux-Vintimille en même temps que quatre candidats à la Légion étrangère. Dans leur compartiment, en compagnie du caporal-chef qui les escorte, ces derniers boivent “quatre ou cinq bouteilles de whisky”. Le gradé et un des aspirants légionnaires s’endorment. Les trois autres aperçoivent Habib Grimzi, lui reprochent un regard déplacé et le rouent de coups. Le contrôleur du train lui vient en aide. Celui-ci l’accompagne dans une autre voiture située en queue de train. Les trois hommes parviennent à le retrouver, le frappent à nouveau et lui donnent un coup de couteau sous l’omoplate. D’après la reconstitution des faits, alors qu’il était encore vivant, ses agresseurs ont ouvert la porte du wagon et l’ont jeté du train qui roulait à 140 km/h. Habib Grimzi aurait percuté le ballast et un pied de poteau de plein fouet. Il serait mort le crâne fracassé par le choc. (…)

À Marseille, en 1981, un homme tire depuis sa fenêtre sur Zahir Boudejellal alors âgé de 17 ans. Toufik Ouanès, âgé de 9 ans, meurt dans les mêmes conditions à la cité des 4 000 de La Courneuve en 1983. À Troyes, en septembre 1986, dans la cité du Point-du-Jour, un homme de 22 ans, propriétaire d’une carabine et habitant le huitième étage d’un immeuble tire depuis sa fenêtre sur un jeune homme de 23 ans. (…)

« À Fresnes, dans le Val-de-Marne, le 24 juin 1973, deux gendarmes accompagnés de policiers se rendent dans la cité des Groux pour interpeller un adolescent de 14 ans soupçonné de vol. (…) En voyant arriver les forces de l’ordre, leur fille de 8 ans, Malika Yezid, est montée en courant pour prévenir son frère. Ce dernier s’enfuit avant leur arrivée. Ils entrent malgré tout dans l’appartement. Le père raconte qu’ils ont été injuriés et menacés. Un des gendarmes gifle Malika devant lui. Malgré ses protestations, pendant que l’un d’entre eux l’interroge et le retient dans le séjour, Malika est emmenée et frappée dans une chambre : “Elle était en détresse, pleurait sans cesse, appelait. Après un quart d’heure, lui il sort, la petite vient derrière et tombe à plat ventre, elle ne bougeait plus [...] c’est eux qui l’ont tuée et ils sont partis en riant. ”Malika Yezid est transférée à l’hôpital, elle reste quatre jours dans le coma et décède.  ». (On pourra lire aussi « Permis de tuer  » rédiger par le collectif « Angles morts »)

Quant à la « cancel culture » que nous ne cautionnons pas, elle est invoquée comme fonctionnant dans un seul sens  au moment où justement les dominés remettent en cause leur domination. Pourtant elle est largement utilisée par les deux camps  comme en témoigne l’affaire très médiatisée de « Science Po Grenoble  », ou la mise à l’écart du Conseil National du Numérique de Rokaya Diallo , ainsi que l’éviction de la candidature de Nonna meyer à Sciences Po  . Que dire de la dissolution de l’Observatoire de la laïcité  voulue par Marlène Schippa, si ce n’est de faire disparaître un organisme qui a su intervenir sans parti pris pour rappeler comment devait s’appliquer la laïcité ? Ou de la décision de l’université de Lyon 2 « Après des semaines de polémique, l’université Lyon 2 a décidé d’annuler la tenue d’un colloque intitulé « Lutter contre l’islamophobie, un enjeu d’égalité ? », prévu le 14 octobre et organisé par sa chaire Egalité, inégalités et discriminations  » En 2018, le rappeur Médine annule son concert au Bataclan et le reporte au Zénith suite aux menaces « Le 21 septembre, le président de la Ligue du Midi, Richard Roudier, affirmait en effet qu'"une dizaine de bus" étaient "réservés” pour venir manifester devant le Bataclan le jour des concerts de Médine si ces derniers n'étaient pas annulés.  »

La culture de l’annulation s’inscrit dans une stratégie d’invisibilisation dont on trouve la trace dans le passé républicain, qui a tenté d’abord par l’oubli ou par des tentatives de réhabilitation (loi du 25 février 2005 ), d’effacer ce qui s’est passé, produisant une souffrance  pour ceux dont les ascendants se retrouvent victimes de ces ratures  du texte historique. Il y a bien eu volonté de canceliser un passé honteux en l’expurgeant de l’histoire officielle de la République « On peut en la matière rappeler la phrase inaugurale de Rostoland, gouverneur provisoire de la Martinique : « Je recommande à chacun l’oubli du passé…  » Cette amnésie reprochée à l’Etat français, répondait aussi au besoin politique d’assimiler d’anciens esclaves devenus citoyens dans une nation, dont l’idéal républicain ne pouvait se concevoir avec ce qui fut la traite négrière et l’esclavage. Un évènement plus emblématique qui s’est produit au sortir de la deuxième guerre mondiale, illustrera cette invisibilisation des racisés. En effet, l’homme de l’appel du 18 juin 40 devient en 1944, celui du blanchiment des 15 000 tirailleurs sénégalais des 9e DIC et 1re DMI, remplacés par des combattants FFI au sein de la 1re armée française . Pauvres tirailleurs sénégalais blanchis par De Gaule pour ne pas déplaire aux américains, mais aussi pour qu’ils n’aient pas accès aux villes et aux femmes blanches,  en tirant parti du prestige qu’ils avaient acquis en participant à la libération de la France… Imaginaire colonial lorsque tu nous tiens…  Mais, plus largement, c’est tout un pan de la politique concernant l’immigration en France un temps formulée sous le terme « d’assimilation » qu’il faudrait interroger à l’aulne de la « cancel culture » « Il y a une quinzaine d’années, le mot assimilation fleurait bon la IIIe République. Il était associé aux politiques menées dans les colonies – on parlait alors volontiers d’assimilation coloniale – ou aux débats de l’entre-deux-guerres sur l’accès à la nationalité – une circulaire de 1927 la définissait comme l’absorption plus complète et parfaite des éléments étrangers dans la nation. Après une longue éclipse, l’assimilation a effectué un retour en grâce inattendu dans les années 2000 : portée par les controverses sur l’islam, elle est désormais au cœur des débats sur l’identité nationale (…) La notion d’assimilation fait appel à une métaphore digestive, explique Patrick Simon. Le corps social et les institutions sont censés digérer les nouveaux venus et les transformer en Français. Le but est qu’ils ne soient plus repérables dans la structure sociale, que leurs spécificités culturelles, religieuses ou sociales disparaissent afin qu’ils deviennent semblables en tout point aux Français. Un parcours que le sociologue Abdelmalek Sayad résume en quelques mots : il s’agit, selon lui, de « passer de l’altérité la plus radicale à l’identité la plus totale  ». Ce que confirme G Noiriel avec la métaphore heuristique du creuset français « L’invisibilité des origines étrangères de la population consistait une dimension importante du creuset français.  » Peut-être a-t-on voulu canceliser avant l’heure ?

 

Prenons garde car le racisme des racialistes est une abomination comme tous les racismes.

Tyrannie des minorités, culpabilisation permanente, invitation à la repentance perpétuelle, menaces de déboulonnage de statues... Le racialisme est une instrumentalisation des populations dites "racisées", pour mettre fin à la République une et indivisible.

                                                                  

Lydia Guirous s’appuie sur une fiction réaffirmée comme un mantra, celle d’une République universaliste indifférente à la race. Pourtant il faut penser la contradiction apparente entre « la forme d’universalisme qui sous-tend l’idée républicaine  », inspirée des Lumières, proclamant l’abolition de l’esclavage, et une République colonisatrice qui fait de la race une matrice politique. E saada montre qu’il y a toujours eu localement une négociation des principes au vue des situations complexes de l’entreprise coloniale. Il existe une tension entre l’usage de « la race » qui est fait sur le terrain et son déni « Ainsi, dans un même texte de doctrine juridique sur la condition des indigènes, voit-on affirmé en même temps que « le droit français ignore le principe de l’opposition des races » et que le statut personnel, c’est « le droit propre à chaque personne à raison de la race dont elle fait partie (…) En marge du droit, mais aussi au sein même du droit se développent des pratiques de discriminations officielles fondées sur des différences raciales.  » En même temps que s’affirme le mythe républicain de « la mission civilisatrice » et du « courant humaniste de la colonisation  », on peut suivre la réalité des processus sociaux qui « bricolent » les grands idéaux républicains pour les rendre soluble dans la colonisation  « Le processus de racialisation a concerné l’ensemble des groupes en présence, y compris la population française qui, pendant la colonisation, s’est découverte comme européenne et blanche.  » Avec de nombreux exemples, G Noiriel prouve que « loin d’avoir été taboue, la question raciale a été omniprésente dans la réflexion des élites de la IIIe République, et pas seulement dans l’empire colonial  ». L’historien Pap Ndiaye écrit que « la notion moderne de race fut inventée pour justifier des rapports de dominations coloniale, en particulier l’esclavage  ». Historiquement, la République a développé toute une série de justifications fondée sur la race, pour séparer les français « né en France de parents français » et « les sujets né dans un pays nouvellement annexé » comme le dit un rapport de 1925 du Conseil supérieur des colonies « On peut dire qu’aucune des races qui habitent nos colonies ne nous est apparentée et par suite assimilable en masse ; toutes appartiennent à des collectivités présentant des caractères ethniques irréductibles aux nôtres  » J Ferry dira la même chose en instaurant « une différenciation entre « Blancs » et populations extra-européennes en principe de discrimination essentiel de l'application des principes républicains. Cette conjoncture est absolument fondamentale, puisqu'elle institue l'inégalitarisme racial au coeur du dispositif républicain colonial.  » Dès lors, les études décoloniales proposent de réévaluer les conséquences de la colonisation pour mesurer quelle part d’ombre elles projettent peut-être encore sur notre société « certes, l’idée de race est déroutante, effrayante, scandaleuse… Mais du commerce d’esclaves africains aux contraintes migratoires les plus récentes en passant par l’expansion de l’empire colonial, les catégories raciales ont été et restent une des formes majeures de différenciation sociale de l’époque moderne et contemporaine. Cette lucidité me semble plus féconde que la cécité qui prévaut encore  ». Ce retournement implique de considérer que l’entreprise républicaine peut être l’objet d’une réévaluation critique des processus politiques qui ont présidés à son émergence, comme l’a mise à l’écart des femmes de la citoyenneté « au nom de leur prétendue impuissance à prendre de la distance par rapport à leur nature  » elles n’obtiendront le droit de vote qu’en 1944, mais aussi des contenus philosophiques de ce modèle politique, qui pouvait proclamer l’égalité en même temps qu’il la démentait dans les faits.

La lutte contre le racisme est un combat pour la restauration de l'humanité et de la dignité de chacun. Un combat pour unir les hommes, contre l'arbitraire, l'injustice. Le racialisme lui, n'est en rien une lutte contre le racisme, il est l'instauration d'un nouveau racisme."

 

L Guirous termine par ce nouveau poncif que la droite essaie d’imposer, se développerait un nouveau racisme de gauche, un racisme à l’envers, qui proviendrait des personnes racisées et serait tourné contre les blancs. Dans un article de l’Obs, E Fassin https://www.nouvelobs.com/idees/20210409.OBS42515/les-coupables-ce-sont-les-victimes-par-eric-fassin.html analyse cette démarche qui vise une nouvelle fois à fracturer les luttes et potentiellement la Gauche, qui doit se retrouver autour d’un projet républicain, universaliste et laïque qui n’est pas celui de la Droite, car celui-ci est une imposture trompeuse, destinée à maintenir les dominés dans leur domination ainsi que le rappelle A Césaire dans son Discours sur le colonialisme « C'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme: d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste (…) Jamais l'Occident, dans le temps même où il se gargarise le plus du mot, n'a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d'un humanisme vrai, de pouvoir vivre l'humanisme vrai –l'humanisme à la mesure du monde.»

 

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