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30 juin 2021 3 30 /06 /juin /2021 08:19

 

 

En septembre 1902 Victor Segalen nommé médecin de 2iem classe s'embarque pour Tahiti

De 1903 à 1904, il va découvrir la Polynésie. Il se rend dans l'archipel des Touamotou, aux Marquises après la mort de Paul Gauguin le 8 mai 1903, puis dans l'île d'Hiva-Oa où avait vécu le peintre. De ce séjour sortira un livre publié en 1907 "Les immémoriaux" sous le pseudonyme de Max-Anély.

 

 

 

« Je t’ai dit avoir été heureux sous les tropiques, c’est violemment vrai. Pendant deux ans en Polynésie, j’ai mal dormi, de joie. J’ai eu des réveils à pleurer d’ivresse du jour qui montait. Les dieux du jouir, savent seuls, combien le réveil est annonciateur du jour et révélateur du bonheur continu que ne dose pas le jour. J’ai senti de l’allégresse couler dans mes muscles. J’ai pensé avec jouissance. J’ai découvert Nietzsche. Je tenais mon œuvre, j’étais libre, convalescent, frais et sensuellement assez bien entraîné. J’avais de petits départs, de petits déchirements, de grandes retrouvées fondantes. Toute l’île venait à moi, comme une femme."

Segalen et « Les Immémoriaux », entre exotisme et ethnologie
 

 

 

Pour Victor Segalen, Terii incarne les Polynésiens qui, à l'exemple d'un roi abruti d'alcool et de catéchisme, ont jeté leurs dieux dans les brasiers allumés par les missionnaires, en chantant la louange d'un crucifié dont le supplice n'avait aucun sens pour eux. Nous bâtirons la maison du Seigneur. Et jamais la mauvaise conscience ne viendra troubler les évangélistes : ils ont sauvé des âmes et ils ignoraient le sens du mot civilisation.


Tout ce qui était païen ne pouvait être que mauvais : il fallait sauver les Tahitiens du mal, c'est-à-dire d'eux-mêmes. Quand Paofai meurt sous les coups de ses frères, condamné par une loi qui n'est pas la sienne, c'est la dignité des Tahitiens qui meurt avec lui. Les Ario'i ne donneront plus le bonheur à manger à leur peuple, ils ne sèmeront plus la joie et l'ivresse: c'est maintenant le temps des communions chrétiennes.
Quand les bêtes changent leur voix, c'est qu'elles vont mourir. Quand les hommes changent de dieux, c'est qu'ils sont déjà morts.


Et Segalen se fait imprécateur : « Vous avez perdu les mots qui vous armaient et faisaient la force de vos races (... ) vous avez oublié tout (... ) les bêtes sans défense? Les autres les mangent! Les Immémoriaux que vous êtes, on les traque, on les disperse, on les détruit. »

 

Les mythes disent d'abord la lucidité des hommes, mais on s'en aperçoit souvent trop tard. Les Polynésiens ont toujours su que leurs dieux ne vivraient pas en paix avec le nouveau venu; ils ont vite compris que leurs valeurs étaient incompatibles avec celles que les missionnaires venaient greffer dans leurs îles. La solution
paraissait simple: oublier, se renier, tuer son dieu, le manger et surtout ne pas en laisser la moindre miette, parce qu'un homme qui se souvient de sa dignité perdue étouffe du sentiment de sa dégradation. Mais on n'en finit jamais de dévorer ses dieux, de ronger ses racines, de ruminer son authenticité. Les anciens marquisiens ont cru qu'ils pourraient recoller les débris du dieu avec de la sève de maiore; les Tahitiens d'aujourd'hui trouveront-ils la sève qui leur permettrait de calfater leur civilisation ? Segalen a écrit, répète-ton, un roman ethnographique. A mes yeux, il a fait beaucoup plus: il a permis à ses lecteurs européens de comprendre la dignité d'un peuple victime de la beauté de ses îles. Les paroles de Jeanne, de Marietta, de Nicole et de Colas vont peut-être jouer le même rôle pour les Polynésiens.


Victor Segalen, qui a connu la révélation de la joie en Polynésie, a écrit un livre désespéré parce qu'il voyait l'agonie d'une civilisation.

 

Tiré d'un article de Gérard Lahouati dans Europe n° 696 d'avril 1987

 

Victor Segalen, poète, médecin et voyageur au destin singulier

Les Immémoriaux de Victor Segalen

 

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