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16 février 2019 6 16 /02 /février /2019 14:20

 

Le mari, l'amant, l'ex, les ex, le père, le copain, l'ami, je connais toutes les catégories, tout ce qui s'écrit sur le sujet, les différents styles, les types, la typologie : le prudent, le casanier, le distant, le timide, le surbooké, le méfiant, le violent, le tendre, le déprimé, le passionné, l'infidèle, je ne suis pas la première, c'est sûr, je ne suis pas la seule, et c'est déjà insupportable, cette répétition, ce discours, la trivialité démultipliée de ces mots mille fois prononcés, mille fois entendus: je l'aime, je l'ai aimé, je ne l'aime plus, ce mec, ce type, est-ce que je l'aime encore, cet homme, ce mec-là, mon mec, avec lui c'était bien, au début c'était bien, c'était formidable – on dit ça des livres aussi, des gens, des moments, des voyages

p 30 - 31

 

Il y a une obscénité rare à se montrer en public en amont du désir, à appeler le garçon, à lire le menu, à goûter le vin, à parler de soi, à parler tout court. Se montrer, montrer à l'autre qui l'on est: leurre monstrueux! Peut-on se montrer sans être nu ? Au XVIIe siècle, on employait une expression particulière pour désigner ce badinage, cette entreprise de séduction par la conversation; on disait: « faire l'amour » pour « faire la cour ». « Et vous ferez l'amour en présence du père », lit-on chez Racine. Voilà qui en dit long sur la vraie nature de la galanterie, ce fatras de mots censés remplacer le corps ou le faire admettre à la longue, ce trie otage de compliments et de niaiseries, ce tissu de fadaises destinées à fabriquer de l'amour, à le faire exister dans la langue conformément à la loi, aux usages, comme si on pouvait le faire autrement qu'en le faisant.

p 36

 

La rencontre telle qu'elle advient constitue pour elle un sommet de perfection. Il n'y a pas de mots, on échappe au bruit des mensonges. L'amour, c'est quand on ne dit rien - qu'est-ce qu'on pourrait dire, qui vaille ?

p 33

 

C'est ce qu'elle aime chez les hommes, ce flottement que rien n'empêche, ces liens qui laissent un espace, une liberté de mouvement. Par définition, tous les hommes sont pris. Mais chez quelques-uns, il y a du jeu.

 

Nous sommes tous hantés, dit-on, par deux instants inconnus : celui de notre origine et celui de notre fin.

p 209

 

Le premier amour est éternel, le temps ne passe pas, c'est le principe amoureux. L'histoire n'a pas la forme d'un convoi dont les wagons en mouvement éloigneraient toujours davantage la gare et ses mouchoirs, mais celle d'un conte de bonne femme où l'on pourrait, sans même avoir à traverser des forêts épaisses, retrouver endormi l'homme aimé, l'amoureux, il nous attendrait là, le visage tout empreint de confiance en nous, les bras déliés dans l'abandon du sommeil, il s'éveillerait sous nos mains, sous nos lèvres, ce prince au charme immobile, cet ange de patience pour qui cent ans ne sont rien, « c'est vous », dirait-il en ouvrant les yeux, vous vous seriez fait attendre, il est vrai, mais il vous aimerait tout comme au premier jour, de cet amour sans fin dont sont faits les rêves d'enfant.

p 262 - 263

 

La fidélité, c'est une idée creuse, une vanité aveugle, comme si on tenait quelque chose, comme si on se croyait immortel, comme si on l'était. Au fond, je me suis mise à aimer les hommes comme j'aime mes enfants - mes filles: quand je les serre dans mes bras, depuis l'enfance, depuis qu'elles sont toutes petites, je sais que cette chaleur m'abandonnera, que ces corps que je caresse de tout mon amour me quitteront et que je ne saurai même plus où les retrouver, je sais qu'elles s'en iront, depuis le début je connais cette absence logée au creux des bras les plus tendres, cette solitude où l'autre nous laisse, même s'il nous aime, où il finit par nous laisser, même s'il revient, cette solitude qui est aussi la sienne, sa différence irréductible.

 

C'est aussi ce dont je jouis dans l'amour, dans toutes les formes d'amour: je jouis de la présence physique, je jouis du présent et du corps. Oui, les hommes sont comme de grands enfants. Ils partent, je ne les retiens pas. Ils sont libres - ils prennent des libertés, il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour, n'est-ce pas  ? Le corps est la seule preuve d'amour - ou plutôt non, non, pas la seule : les hommes libres peuvent partir, et quelquefois ils restent - voilà la plus belle preuve d'amour: prendre la liberté de rester alors qu'on pourrait s'en aller. Je crois que c'est une idée juste, comparer l'amour des hommes à celui des enfants. La fidélité qu'on exige d'un amant, d'un mari, la monogamie de la chair sous prétexte qu'il a été en nous, dans notre ventre, est-ce qu'on la demande aux fils et aux filles, est-ce qu'on demande à un enfant de rester fidèle à sa mère parce qu'il a habité son ventre, est-ce qu'on exige de lui, éternellement, cette reconnaissance-là, stupide et vaine -la reconnaissance du ventre ? Partez, allez, partez, je sais que vous m'aimez – pourquoi ajouterais-je les liens du sang et de la peau aux mille chaînes qui nous attachent déjà ?

p 266 - 267

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