La blonde aspira la fumée. Ralph s'efforçait de ne pas la regarder, mais elle avait des yeux aux reflets verts qui
attiraient les siens comme des aimants.
p 9
Ralph se donna l'ordre de ne pas faire un seul pas vers elle. Sinon ce serait la fin de tous ses rêves, la fin de tous ses
espoirs d'une vie meilleure, plus propre.
p 14
Ralph regardait la fille, et la fille le regardait, et même s'il
faisait très sombre dans cette partie de la pièce, on aurait dit qu'il y brillait une lumière plus vive qu'aucune lampe ne pourrait jamais en donner, et Ralph plongeait son regard dans ces yeux
jaunes, et il savait que la fille le regardait droit dans les yeux, elle aussi. Ils ne souriaient ni l'un ni l'autre. Ralph ne se rendait pas compte qu'il ne souriait pas. Il n'était pas
conscient des secondes qui s'écoulaient tandis qu'il la regardait. Longeant le mur, il s'approcha, et il se retrouva à côté du fauteuil, le regard posé sur elle. Elle levait les yeux vers lui.
Il comprit qu'il la contemplait ainsi depuis longtemps. Il se demanda depuis combien de temps.
Il se rendait compte qu'il devait lui dire quelque chose, et il ne
savait pas quoi. Puis il entendit une voix. Une voix douce, basse, assez vague.
- Qui êtes-vous? demanda-t-elle.
- Je m'appelle Ralph Creel,
- Et moi, Edna Daly.
Ils échangèrent un regard.
Puis, Ralph détourna la tête.
Il n'avait plus envie de la regarder. Il avait peur de la
regarder.
p 79
Ralph sentit quelque chose monter dans sa gorge et l'étouffer. Se
retournant brusquement, il s'éloigna en hâte de la maison. Quelques mètres plus loin, il regarda derrière lui, et sur le pas de la porte, il vit Edna, les yeux fixés sur lui. Il commença à
revenir sur ses pas, puis, lentement, il refit demi-tour et s'éloigna. Il entendit une porte se fermer. Une fois
de plus, il se ravisa, et revint vers la maison. La porte était fermée. Aucune lumière ne brillait plus.
Ralph resta un moment sans bouger, à contempler la porte close et la
fenêtre obscure.
Lentement, il remonta la rue.
p 113
Ralph prit donc un tram pour sortir de la ville, puis il remonta le
Wissahickon. C'était l'hiver. Le ruisseau était à demi-gelé. Ralph longea la rive. Il était seul. Autour de lui, tout était sec, froid et propre. Bientôt, il oublia l'améthyste. Il avait
seulement envie de longer la rive du ruisseau. Des feuilles mortes oscillaient, comme des foules en prière, autour des troncs des arbres nus. Tout était calme et immobile, à part l'eau limpide
et glacée qui éclaboussait les rochers et les galets au bord du ruisseau. Ralph marcha longtemps, en contemplant le cours d'eau, les arbres, les rochers, la beauté paisible du Wissahickon et de
sa vallée, et il eut envie de rester là. Il aurait voulu creuser une caverne, sous un gros rocher, et s'y installer, tout seul, sans être vraiment seul, pourtant, car il aurait eu pour
compagnie, la musique aigrelette du ruisseau, et le chant de défi des oiseaux à demi-morts de froid, qui refusaient pourtant de quitter la vallée. Dans sa caverne près du ruisseau, il se serait
installé pour toujours, sans être vraiment seul, et il aurait eu tout ce dont il avait besoin.
En se rappelant cette journée, Ralph eut de nouveau envie d'être
là-bas, dans la vallée près du ruisseau. Se levant, il passa devant la fenêtre et se dirigea vers la porte. Un jour, il retournerait sur les rives du Wissahickon.
p 119
On essaie de se convaincre qu'on aurait pu faire mieux que ce qu'on
fait, et de temps en temps, on a une idée brillante et on essaie de la mettre en pratique. Mais ça ne marche jamais. On ne peut pas descendre d'un manège qui ne s'arrête pas de
tourner.
p 195
L'image de fond retouchée est de Eikoh
Hosoe