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30 janvier 2019 3 30 /01 /janvier /2019 18:20

Je dois savoir si la détresse est une situation, un
état du corps ou un état de l'esprit.
On peut être accroché à une paroi à trois mille
quatre cents mètres d'altitude en plein orage nocturne
sans être en détresse. On peut aussi sous le même
otage nocturne se sentir au chaud au fond de son lit
au coeur de la détresse. On peut avoir soif, être fatigué,
blessé sans être en détresse.

p 10

 

Le regret engendre la détresse. « Je n'aurais pas dû »
est le début et le fond de la détresse. Le conditionnel


tout entier, ce temps révolu qui n'est même pas le
passé est le fondement et peut-être le créateur de la
détresse. L'occasion qu'elle s'installe.

Le conditionnel introduit une illusion d'avenir à
l'intérieur du passé. Il ouvre une brèche, un éventail


de fantômes dans la nécessité des faits irréversibles,
qui ont déjà eu lieu. Il n'y aurait pas de détresse sans
le conditionnel. La faim, l'épuisement, la douleur et
la mort si ça se trouve, mais pas de détresse.

p 12

 

Tous les matins, il faut se demander: qui suis-je ?
Un corps ? Une fortune? Une réputation ? Rien de
tout cela. Qu'ai-je négligé qui conduit au bonheur ?

p 14

 

Que se passe-t-il quand je suis une trace et que
tout à coup, il faut passer un pas, équivalent à tous
ceux que j'ai faits jusque-là, mais au-dessus du vide
parce que le chemin à cet endroit s'est effondré sur
la longueur de ce pas? Le chemin est-il devenu plus
technique? Un risque est-il apparu? Si le chemin est
exposé depuis le début du parcours, s'il s'accroche par
exemple à une forte déclivité sur quinze centimètres
de largeur, et que depuis le début une chute serait
l'occasion d'un accident grave ou mortel, ce pas audessus
du vide est-il un risque supplémentaire? Alors
qu'il ne présente aucune difficulté technique en lui même?
Pourquoi la confiance dans le bon déroulé de
mon pas est-elle subitement fragile? Cette difficulté
n'est pas physique, elle n'est pas de l'ordre de l'acte
mais de l'ordre de la représentation. C'est une difficulté
d'état d'esprit. Les montagnards répondent: il ne faut pas s'attarder.
Ni s'arrêter ni se précipiter.
Il faut soigneusement passer vite. Si je m'affole, je
ne pourrai rien faire soigneusement et je me mettrai
alors en danger.

p 17 - 18

 

Je me suis assise de
mon côté sur l'autre banc sans le regarder directement.
Cela me paraissait indécent, trop intrus if. Une
fois assise, j'ai tourné la tête. Pas bougé. J'ai pensé au
dressage des dobermans, pas bouger, pas toucher, pas
mordre. Et j'ai replacé mon visage face au lac. Je ne
le voyais plus. Puis il y a eu un mouvement sur ma
gauche. Figée comme j'étais, je le percevais avec l'oreille
interne et la peau. Puis il était devant moi, devant mes
yeux à la place du lac le moine, et alors il a planté
son regard dans le mien comme il l'avait planté dans
l'eau une heure auparavant, il a levé son habit de laine
jusqu'à sa poitrine et s'est mis comme ça, debout, les
jambes arquées, à pisser dans ma direction. J'ai tout vu,
les genoux sales,les cuisses décharnées, le pubis glabre,
le ventre dur, l'épais filet qui sortait de son corps. J'ai vu
les lèvres, c'était une femme. Quand le jet s'est épuisé,
elle m'a tourné le dos, s'est accroupie au sol dans la
flaque qu'elle venait de produire et sous mes yeux,
dans sa main ouverte, la droite, elle s'est mise à chier.
Quand elle a eu terminé, elle a jeté sa merde dans l'eau
devant elle. J'ai vu les ronds de l'impact se diffuser à
la surface, s'élargir, s'accorder à la dimension du lac.
Elle s'est essuyé les mains dans la laine en se relevant,
elle est rentrée dans.la cabane et elle a fermé la porte.
Durant les heures qui ont suivi, il ne s'est rien passé.
Rien d'autre. Le soleil s'est couché. Je suis rentrée dans
la nuit, je ne sais comment, abasourdie.

p 112 - 113

 

Je ne peux pas, personne ne le peut, ne pas prêter
attention à la présence d'un humain. D'une coccinelle
d'un geai, d'un isard, d'une souris, oui, mais pas d'un
humain. C'est un fait. Dès que je vois un humain, j'ai l'idée
d'une relation entre lui et moi. Je m'en rends compte. Je
ne peux pas faire comme s'il n'existait pas. Encore moins
dans la position isolée dans laquelle je me trouve. Que
j'ai choisie. Dans laquelle je m'exerce et cherche à savoir
si on peut vivre hors jeu, en ayant supposé qu'on le peut
et que c'est une des conditions requises pour obtenir la
paix de l'âme. C'est une hypothèse que j'ai faite et que
je m'efforce de vérifier. Et tout à coup il y a un moine,
enfin, une nonne, disons. Qui ne ressent pas la menace.
Qui plonge son regard dans le mien comme elle le plonge
dans le lac. Est-ce un contact visuel ? Est-ce qu'elle a un
contact visuel avec le lac aussi ? Tout à coup, il y a une
nonne qui vous chie au nez.
Chacun chez soi et les poules seront bien gardées,
c'est le début d'une société, d'une règle sociale. TI n'y
a pas de non-relation entre humains.
Le type qui siffle dans le jardin à côté du vôtre en
faisant cuire ses saucisses, vous signale qu'il existe,
que vous respirez tous les deux le même air et qu'il
est chez lui dans votre espace sonore. Vous êtes sur le
même plan. C'est très archaïque. Les comportements
humains pour la plupart sont très archaïques, et passablement
agressifs.

p 116 - 117

 

Je me suis essuyé le visage dans mon pull et quand j'ai relevé la tête,
j'ai vu la ligne. Complètement plate, vibrante, vivante. Pus
qu'incongrue. Elle était là, comme une plaisanterie,,
indéniablement présente, irrésistible. Je l'ai regardée
longtemps. Je suis techniquement capable de traverser
deux fois sa longueur, d'exécuter un demi-tour,
de m'asseoir et de me relever sur la sangle. Je l'étais à
soixante centimètres du sol. Et maintenant ? Je me suis
posé cette question et j'ai commencé à rire, à rire du
fond du coeur, à m'en faire péter les boyaux. Quand
le calme est revenu, je l'ai laissée s'installer puis je me
suis avancée vers le précipice mais Dongbin m'a attrapé
le bras : demain.
Est-ce que c'est le jeu que je cherchais ? Celui qui
combine la menace sans domination et la promesse
sans objet ? Le jeu sans aucune part obscure, le jeu
limpide ? La méthode ? Le moyen de se décoller, de
se surprendre soi-même et de s'accueillir ?
L'idiotie ?
Est-ce que c'est un bluff ? Un risque calculé ? Un
risque recueilli ? Est-ce que je saurai demain si l'éternité
peut tenir dans une durée finie ? Est-ce que j'en
ferai plusieurs parties ? Est-ce que ça compte ?
Comment pourrait-il accueillir le monde celui qui
ne se mise pas lui-même ?

p 189 - 190

 

 

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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 15:31

Nous étions l'avenir - Yaël Neeman

 

 

Le kibboutz n'est pas un village au paysage pastoral,
avec ses habitants pittoresques, ses poules et ses
arbres de Judée. C'est une oeuvre politique, et rares
sont les gens de par le monde qui ont vécu, par choix
et de leur libre volonté, une telle expérience, la plus


ambitieuse qui fut jamais tentée. Qui pourrait 'dire
non à une tentative de fonder un monde mei lieur, un
monde d'égalité et de justice? Nous n'avons pas dit
non. Nous avons déserté."
Avec humour, compassion, mais aussi avec une
lucidité totale, Yaël Neeman raconte l'histoire du
kibboutz Yehi'am, que ses parents, originaires de
Hongrie, ont participé à fonder. À travers les yeux
d'une enfant puis d'une adolescente qui ne sait pas
dire "je", qui se fond mentalement dans un "nous"
permanent au service d'une utopie hors d'atteinte,
elle initie le lecteur à cette vie si particulière. Jusqu'au
jour où la séparation se produit.
Une analyse d'une fécondité extrême sur l'individu,
la société, le poids des idéologies et des bonnes
intentions, dans ce qui fut une expérience incroyablement
audacieuse.


Yaël Neeman est née en 1960 au kibboutz Yehi'am. Elle vit
aujourd'hui à Tel-Aviv. Elle a publié des nouvelles et des
poèmes. Nous étions l'avenir a paru chez Actes Sud en 2015.

 

 

Et c'étaient vraiment de belles années baignées
d'or. Parce que nous vivions dans la température glaciale
et brûlante d'un soleil éternel.

P 8

 

Nous ne savions pas que nous étions nés en
1960 sur une étoile dont la lumière était morte
depuis longtemps et qui sombrait déjà dans la me
r.
Nous ne savions pas que le mouvement kibboutzique
avait été au faîte de sa gloire dans les années 1930,
à l'époque des "Murs et tours?" et qu'avant même
la création de l'État d'Israël en 1947, la population
des kibboutzim avait atteint son maximum et représentait
7 % de la population juive vivant en Israël.
Ce pourcentage avait déjà chuté en 1948 et n'était
plus que de 3,3 % dans les années 1970.
Nous ne savions pas que notre étoile n'éclairait
plus qu'elle-même. Nous nous pensions semeurs et
bâtisseurs.

P 15

 

Nous étions galvanisés par le slogan
enflammé "Au sionisme, au .socialisme, à la fraternité
des peuples"

p 19

 

Nous croyions cueillir des étoiles scintillantes qui
illumineraient les cieux de tous et de tous les pays
du monde. À la lumière de ces flambeaux, les prolétaires
marcheraient vers un monde où régneraient
la justice et l'égalité.

Mais cette marche forcée nous
était si douloureuse que nous ne pouvions penser
qu'à elle. Nous avions oublié avec qui établir l'égalité,
avec qui faire la paix, pour qui viendrait la justice.
Nous buvions notre propre sueur et nous n'aidions
personne.

P 21

 

Mais dressée sur sa butte
sous le ciel, dominant le paysage, la forteresse des
Croisés témoignait par son existence même de la
permanence d'une histoire, sublime, toujours présente
et belle, qui se perpétuait en même temps que
notre foi, tendue vers un avenir autre que tout ce
que l'humanité avait jamais connu, un avenir qui
abolirait le passé.

P 47

 

À l'HaChomer Hatzaïr, on pensait que tout pouvait
s'apprendre et s'enseigner dans ces séminaires,
que la révolution socialiste serait le fruit de nos
mains, que nous en étions les artisans.

P 225

 

Rares sont les gens de par le monde qui ont vécu, par
choix et de leur libre volonté, une telle expérience, la
plus ambitieuse qui fût jamais tentée, celle de bâtir
un autre monde nécessitant une conception différente
de la famille et du foyer.

P 247-248

 

Notre mythe, celui de la création d'un monde nouveau, 
cette expérience inaboutie, nous nous le racontions sans cesse, 
même après notre départ.

P 248

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23 novembre 2018 5 23 /11 /novembre /2018 21:33

 

"La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la
seule vie par conséquent réellement vécue, c'est
la littérature
. Cette vie qui en un sens, habite
à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que
chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu'ils ne
cherchent pas à l'éclaircir. »


Le Temps retrouvé, III

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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 13:47

 

Car le langage révèle toujours ce qu'il veut cacher.

p 107

 

La nuit dit Blanchot ne parle que du jour.

p 106

 

 

Oui vraiment les mots rêvent

p 101

 

... le travail de la poésie, dans son effort général pour naturaliser et pour réifier le langage, consiste à effacer la motivation intellectuelle au profit d'association plus physiques, donc plus immédiatement séduisantes pour l'imagination. Avec les léxèmes élémentaires comme jour et nuit, cette réduction préalable lui est en quelque sorte épargnée, et l'on peut supposer que la valeur poétique de tels vocables tient pour une grande partie à leur opacité même, qui les soustrait d'avance à toutes motivation analytique, et qui, par là même, les rend plus concrets plus ouverts aux seules rêveries de l'imagination sensible.

p 111

 

Reste à considérer l'incidence d'un fait d'ordre non plus phonique ou graphique, mais grammatical, qui est l'opposition de genre entre les deux termes. On ne rappellera pas ici
tout ce que Bachelard a si bien exposé, spécialement dans la Poétique de la rêverie, de l'importance du genre des mots pour la rêverie sexualisante des choses, et de la nécessité,
pour l'étude de l'imagination poétique, de ce qu'il proposait d'appeler la génosanalyse.

p 119

 

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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 13:31

 

ISMENE - Et voici nos deux frères qui se sont entre-tués, ne partageant entre eux que la mort, les infortunés! Demeurées seules, nous deux,  présent, ne prévois-tu pas l'affreuse fin qui nous guette si nous enfreignons la loi, si nous passons outre aux édits et à Ia puissance du maître? N'oublie pas que nous sommes femmes et que nous n'aurons jamais raison contre des hommes. Le roi est le roi: il nous faut bien obéir à son ordre, et peut-être à de plus cruels encore. Que nos morts sous la terre me le pardonnent, mais je n'ai pas le choix; je m'inclinerai devant le pouvoir. C'est folie d'entreprendre plus qu'on ne peut.

P 70

CREON – Mais la cupidité a souvent perdu les hommes.

P 74

LE GARDE – L’argent, ah ! maudite engeance, fléau des humains !

P 75

CHANT DU CHŒUR - Entre tant de merveilles du monde, la grande merveille, c'est l'homme. Il parcourt la mer qui moutonne quand la tempête souffle du sud, il passe au creux des houles mugissantes, et la mère des dieux, la Terre souveraine, l'immortelle, l'inépuisable, une année après l'autre  il la travaille, il la retourne,  alignant les sillons au pas lent de ses mules. Mais le plus haut dans la cité se met au ban de la cité Si, dans a criminelle audace, il s'insurge contre la loi. A mon foyer ni dans mon coeur le révolté n'aura jamais sa place

P 77

CREON - En vérité, de nous deux, c'est elle qui serait l'homme, si je la laissais triompher impunément.

P 80

CREON - Descends donc là-bas, et, s'il te faut aimer à tout prix, aime les morts. Moi vivant, ce n'est pas une femme qui fera la loi.

P 81

CREON - oui, tout doit passer après la volonté d'un père. Les hommes souhaitent de voir grandir dans leur maison des enfants soumis, qui embrassent leurs querelles et leurs amitiés. Donner la vie à des ingrats, n'est-ce pas engendrer nous-mêmes nos propres mires, à la grande joie de qui nous hait ? Mon enfant, l'amour n'est qu'un plaisir: ne perds pas la raison pour une femme: Dis-toi que ltreinte d'une méchante épouse a de quoi refroidir un mari. Quelle plaie plus pernicieuse qu'un ami pervers ? Allons, repousse comme un être malfaisant cette malheureuse fille, laisse-la se marier chez Hadès, si cela lui plaît. Puisque seule dans la cité je l'ai trouvée rebelle, j'entends ne pas tromper la confiance du peuple: Je la condamne à mort.

P 84

L'anarchie est le pire des fléaux; elle ruine les cités, détruit les foyers, rompt les lignes du combat, sème la panique, alors que la discipline sauve la plupart de ceux qui restent à leur poste. C'est pourquoi notre devoir est de défendre l'ordre et de ne jamais souffrir qu'une femme ait le dessus. Mieux vaut tomber, s'il le faut, sous les coups d'un homme, que d'être appelé le vaincu d'une femme.

P 85

CHANT DU CHŒUR - le Désir a sa place entre les grandes Lois qui règnent sur le monde, et sans combat la divine Aphrodite fait de nous ce qu'elle veut.

P 88

LE CORYPHEE - Ce qui compte avant tout, pour être heureux, c'est d'être sage. Et surtout il ne faut jamais manquer à la piété. Les présomptueux, de grands coups du sort leur font payer cher leur jactance et leur enseignent, mais un peu tard, la sagesse.

P 101

 

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22 juillet 2018 7 22 /07 /juillet /2018 14:59

 

 

ça, la rue ? Ça, la maison? Ça, le jardin ?
Oh ! vanité des souvenirs !
En visitant après de très longues années le petit
pays où j'étais né, où j'avais passé mon enfance et ma
première jeunesse, je m'apercevais bien que, sans
avoir pourtant changé en rien, il n'était vraiment
pas tel qu'il était resté en moi, dans mes souvenirs.
En lui-même donc mon petit village ne possédait
pas cette vie dont j'avais cru vivre si longtemps;
cette vie qui, pendant un autre si long laps de temps,
avait dans mon imagination continué également en
lui, hors de ma présence, à se dérouler; et les lieux
et les choses n'avaient pas cet aspect qu'avec une si
grande. douceur d'affection, j'avais gardé et sauvegardé
en ma mémoire.
Elle n'avait jamais existé, cette vie, sinon en moi.
Et voici qu'en face des choses - inchangées mais
différentes, parce que moi, j'étais différent - cette
vie m'apparaissait irréelle, comme de rêve: une illusion,
une fiction d'antan bien à moi.

D'où la vanité de tous mes souvenirs.
C'est là, me semblé-t-il, une des plus tristes
impressions, peut-être l'impression la plus triste
qu'il soit donné d'éprouver à celui qui, après de
nombreuses années, revient au pays natal: voir ses
propres souvenirs tomber dans le néant, se dissiper
un à un, s'évanouir; souvenirs qui cherchent à
reprendre vie et qu'on ne retrouve plus dans les
lieux parce que le sentiment qui a changé n'arrive
plus à revêtir ces lieux de la réalité qu'ils avaient
auparavant, non pour eux-mêmes, mais pour vous.

Nos souvenirs

 

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10 juillet 2018 2 10 /07 /juillet /2018 08:27

 

"C'est une histoire contée par un idiot

pleine de bruit et de fureur,

qui ne signifie rien."

Macbeth scène V, acte V - Shakespear

 

 

Je te le donne, non pour que tu te rappelles le temps, mais pour que tu puisses l'oublier parfois pour un instant, pour éviter que tu ne t'essouffles en essayant de le conquérir. Parce que, dit-il, les batailles ne se gagnent jamais. On ne les livre même pas. Le champ de bataille ne fait que révéler à l'homme sa folie et son désespoir, et la victoire n'est jamais que l'illusion des philosophes et des sots.

p 99

 

Si seulement nous avions pu faire quelque chose d'assez horrible pour que tout le monde eût déserté l'enfer pour nous y laisser seuls, elle et moi.

p 103

 

Ils parlaient tous à la fois, et leurs voix insistantes, contradictoires, impatientes, rendaient l'irréel possible, puis probable, puis indubitable, comme font les gens quand leurs désirs sont devenus des mots.

p 146-147

 

 

 

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24 juin 2018 7 24 /06 /juin /2018 19:41

 

Car la bonté d'un seul homme est plus puissante que la méchanceté de mille; le mal meurt en même temps que celui qui l'a exercé; le bien continue à rayonner après la disparition' du juste.

P 198

 

Il nous arrive, parfois, de voir dans la rue un homme à la face blême et au regard perdu, ou bien une femme en pleurs. Si nous étions des êtres supérieurs, nous devrions arrêter cet homme ou cette femme, et leur offrir promptement notre assistance. C'est là toute la supériorité que j'attribuerais à l'être humain sur la bête.

P 187

 

Et surtout, nous n'avions aucune idée de la volupté que le coeur éprouve, quand le corps se baigne dans les caresses du vent qui souffle sur un champ en été.

P 116

Le teint de Kyra brunit en peu de jours j et jamais femme plus belle ne courut sur un champ, les yeux humides d'amour ; la chevelure flottant comme une oriflamme, les jupes indiscrètes relevées, les seins voluptueusement offerts au dieu Soleil !

P 117

 

mais il en est toujours ainsi quand on veut toucher aux écluses rouillées qui barrent le passage aux eaux du passé : il est bon de se faire un peu prier.

P 70

 

Mais ce que l'amour crée avec difficulté, la haine le détruit en un instant, et voilà ce que je ne pardonnerai jamais aux hommes.

P 64

 

Homme libre et qui n'adorais point l'argent, habitué à respirer les grands courants de la vie qui balançaient les miasmes de la nature, je ne m'attardais dans cette maison - où tout était vicié par l'égoïsme et la bêtise - que pour celle qui aspirait de toutes ses forces à la liberté.

P 47

 

 

 

 

 

 

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23 juin 2018 6 23 /06 /juin /2018 08:33
Montaigne - Arlette Jouanna

 

" S'entretenir soi-même et s'arrêter et se rasseoir en soi "

Les Essais I, 8, p 33

 

 

Elles ne sauraient cependant faire oublier que Montaigne appelait de ses voeux une lecture amicale, complice, mue par le désir de confronter ses interrogations avec celles qu'il exprimait et de découvrir en soi des potentialités inattendues; il voulait aider ses lecteurs à émanciper leur jugement, à conquérir une « liberté volontaire » et à parvenir à un accord avec eux-mêmes, accord certes toujours provisoire et constamment à réinventer mais prodigue de surprenantes jouissances. Cet objectif, pour qui consent à entrer avec lui dans un échange fraternel, est pleinement atteint.

La fréquentation des Essais est un antidote aux maux qui menacent l'indépendance intellectuelle et le plaisir de vivre - illusion des certitudes, fermeture aux différences, enfermement dans les habitudes, soumission aux sollicitations extérieures, oubli de l'intériorité. Nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin de recourir à ce contrepoison, aussi salutaire que savoureux.

p 358 Montaigne - Arlette Jouanna

 

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22 mars 2018 4 22 /03 /mars /2018 17:06
Les Sujets de notre tsar - Ludmila Oulitskaïa

 

Un jour, on découvre que l'on n'existe pas. On est éparpillé en mille morceaux, et chaque morceau a son oeil, son nez, son oreille à lui. La vision devient celle d'un oeil à facettes, avec une image dans chaque fragment, l'ouïe devient stéréophonique, et les odeurs de neige fraîche et de cantine, mêlées aux effluves des plantes tropicales et des aisselles d'inconnus, forment une cacophonie.

Depuis l'adolescence, on fait des efforts titanesques pour assembler, pour composer son « moi » à partir de gestes, de pensées et de sentiments recueillis au hasard et empruntés à d'autres, et on a l'impression que ça y est, que l'on est presque sur le point d'acquérir la plénitude de soi-même. On est même légèrement fier de son exploit, on a insufflé sa personnalité unique à un prénom et à un nom, on a doté ces sons qui ne veulent rien dire de son individualité, de ses particularités si originales.

Et soudain - patatras! Tout s'écroule. Un monceau de fragments. Pas de moi qui constitue un tout. Et une énigme angoissante: il n'existe aucun moi, juste des images glanées en chemin, un kaléidoscope brisé avec, dans chaque éclat, ce que l'on a inventé, et tout ce bric-à-brac, c'est notre moi: un vieillard aveugle qui savoure du Beethoven, une femme ravissante qui porte le poids de sa beauté sans joie et la mort dans l'âme, deux vieilles femmes inconsolables, et une petite Génia qui s'étonne de la bêtise, du mystère, des mensonges et des délices du monde. C'est précisément grâce à elle, Génia, sa représentante et son émissaire, que l'auteur tente d'échapper à un point de vue personnel dont il a par-dessus la tête, à des opinions et à des jugements usés jusqu'à la corde, en accordant à ces fragments dont nous avons parlé la liberté de mener une existence indépendante.

Un auteur reste au milieu, entre ce qui observe et ce qui est observé. Il a cessé de présenter un intérêt pour lui-même. En fait, il se trouve lui aussi dans le champ d'observation, il n'est pas impliqué, il est détaché. Quel jeu délicieux on découvre quand on prend une telle distance avec soi-même! On s'aperçoit que la beauté des feuilles et des pierres, celle des visages humains et celle des nuages, ont été modelées par un seul et même artiste, qu'un léger souffle de vent change à la fois la position des feuilles les unes par rapport aux autres, et leurs nuances. Les rides sur l'eau forment un dessin nouveau, les vieux meurent et les jeunes sortent de leur coquille, entretemps, les nuages se sont transformés en eau, ils ont été bus par les hommes et les animaux, et ils ont pénétré la terre en même temps que leurs corps à présent dissous.

Les petits sujets de notre tsar observent tout cela, le nez en l'air. Ils s'émerveillent, ils se bagarrent, ils se tuent les uns les autres et ils s'embrassent. Sans remarquer l'auteur, qui n'existe presque pas.

 

 

C'est mon peuple. Il est ce qu'il est...

p 425

 

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